YASMINA KHADRA - double blanc
Llob
avait connu Ben Ouda à Ghardaïa juste après l’indépendance,
c’était un moudjahid, un valeureux combattant anti-colonial. Voilà
pourquoi, Llob lui vouait une admiration sans borne qu’une sombre histoire
de mœurs n’avait pas réussi à ternir et que le temps
n’avait que vaguement entamée.
Alors, lorsque 30 ans plus tard, celui-ci l’invite à son domicile,
c’est avec émotion qu’il se rend à ce rendez-vous.
Quelques jours plus tard Llob reverra son vieil « ami » mais dans
des circonstances plus dramatiques.
«
des flics vaquent çà et là, en quête d'indices, tandis
qu'un photographe mitraille les alentours d'éclairs frénétiques
Ben Ouda est dans le vestibule, les bras en croix, décapité Une
hache grotesque, maculée de grumeaux brunâtres, repose sur le canapé
- Sa tête est dans le bidet, dans la salle de bains, m'apprend le brigadier
en passant un torchon sur sa vareuse tachée de vomissures Si ça
continue, dans quelques générations, les hommes naîtront
sans rien entre les épaules »
Yasmina Khadra nous entraîne dans les bas-fonds de la société algéroise, plombée par le chômage, la misère et la combine. Nous croisons des personnages issus de la lutte de libération nationale, des gens qui voulaient transformer la guerre en révolution, qui rêvaient d’une Algérie libre et juste, qui chargeaient le mot socialisme de tout leur espoir, qui l’avaient inscrit au dictionnaire des synonymes à la rubrique bonheur. Nous les croisons trente ans plus tard, au fond de leur désespoir, de leurs désillusions, de leur cynisme ou de leur trahison.
« c’était parce qu’il voulait tellement changer le monde qu’il en est mort, car lui seul n’avait pas changé. »
A
l’opposé, au-dessus, au-delà, il y a le monde de la finance,
de l’immobilier, le monde des affaires. Dans un Alger où tout semble
à faire, où tout reste à construire, les coups foireux,
tordus et sanglants ne surprennent plus personne.
Au milieu, plongeant ses racines dans les bas-fonds les plus troubles, bénéficiant
de complicité au plus haut niveau, surgis d’une histoire lointaine
que les conflits afghans ont ressuscitée, s’agitent les milieux
intégristes, des bandes armées qui entendent purifier le monde
au sang des infidèles.
« le pays contracta l'épidémie intégriste. La guerre s'installa en terre numide. Une tragédie certes, mais une sacrée aubaine pour une certaine minorité friquée Une occasion inestimable pour fermer enfin sa grande gueule au socialisme de pacotille qui empêchait les initiatives de féconder les fortunes. Pour cela, il fallait entretenir les foyers de tension, jeter de l'huile sur le feu pour désaxer le pays afin de mieux le couillonner Il devenait impératif d'amener le Pouvoir piégé à négocier sa grâce, à renoncer à ses principes prolétaires, à faire d'importantes concessions »
Double
blanc est un polar puissant, à l’écriture serrée
et éblouissante. Chaque mot, chaque phrase, chaque image ou métaphore
est choisi et calibré avec le soin d’un horloger et la force d’un
boxeur. De la juxtaposition des mots, jaillit la violence de la nostalgie, l’amour
d’une terre, l’espoir d’un pays.
Avec Double blanc, Yasmina Khadra nous livre un roman policier, où policier
et politique confluent dans les égouts d’une société
en décomposition.