LEONARDO PADURA - adios Hemingway


Qui est ce mort, badgé FBI, dans le jardin d'Hemingway?

Padura mène l'enquête avec bonheur... Quand on a la passion des corridas, il ne faut pas s'étonner si on éveille, chez autrui, l'amour vache. Leonardo Padura, romancier, essayiste, journaliste et scénariste cubain, né à La Havane en 1955, éprouve depuis longtemps pour l'auteur de Mort dans l'après-midi des sentiments contrastés. A peine lui a-t-on commandé un texte inédit sur un écrivain de son choix, qu'il s'est mis au travail pour les exprimer, ces sentiments sur Papa, par le biais de la fiction. Adios Hemingway est son hommage réticent et sincère au libérateur du Ritz. Un hommage en forme de polar noir, moite, luxuriant, nostalgique.

On connaît, de Padura, l'excellente tétralogie des Quatre saisons (Métailié). Mario Conde, policier dans la capitale cubaine, y résolvait quatre enquêtes assez tordues - les meilleures: Passé parfait et Electre à La Havane. Disposé à mettre en retraite son héros récurrent, qui désormais se consacre à l'écriture et au commerce de livres anciens, Padura lui impose ici une ultime recherche: découvrir ce que faisait dans le jardin de la maison-musée d'Hemingway cet homme dont on vient de déterrer le cadavre, porteur d'un insigne du FBI. Qui était-il? Quand exactement a-t-il trouvé la mort? Dear Ernest serait-il son assassin? La tâche de Conde n'est pas simple, tant d'années après les faits: il n'avait alors lui-même que cinq ans. Interrogeant des proches de son grand-père, qui ont croisé, ou davantage, le signataire d'En avoir ou pas, l'ancien policier recrée peu à peu, pour lui comme pour nous, la figure du célèbre romancier, ses impostures et son désespoir, sa brutalité, ses mensonges. Méritait-il d'être autant adulé, et, presque autant, haï? Entre deux recettes de cocktails et quelques armes à feu - dont un calibre 22 enveloppé dans une culotte à dentelles d'Ava Gardner -, le roman de Padura avance, velouté, sinueux et envoûtant, délicieusement parfumé de tendresse pour la littérature et pour les Caraïbes. On y retrouve l'Ernest Hemingway lucide et fanfaron, insupportable et génial, tel qu'il s'est montré, tout entier, dans une œuvre capitale, qu'il fut de bon ton de dédaigner mais avec laquelle on est loin d'en avoir fini: quelles nouvelles sont plus fortes et plus drues, dans leur économie narrative, leurs dialogues sublimes, que les siennes? Quels romans d'aujourd'hui ont la puissance émotionnelle de L'adieu aux armes ou d'Au-delà du fleuve et sous les arbres?

Michel Grisolia.