TANGUY VIEL - L'absolue perfection du crime
Dans L'Absolue Perfection du crime, l'hommage de cet
homme jeune - vingt-huit ans - va aux films noirs des années 1950-1960.
Disons Jean-Pierre Melville, si l'on s'en tient au cinéma français,
l'intrigue étant ici française. On est dans un port, assez indéterminé,
mais plutôt vers le Nord (sûrement pas Marseille). Chez des gangsters
de seconde zone qui vont tenter de réaliser leur rêve, celui de
tout criminel, le "crime parfait". Ce livre n'est pourtant pas un
roman policier. Ce qui intéresse Tanguy Viel, ce n'est pas vraiment l'intrigue,
ou du moins pas en priorité, c'est l'atmosphère, puis les rapports
entre les personnages. Les liens d'amitié, de fraternité, de domination,
d'amour, de méfiance, de détestation qui existent dans cette bizarre
"famille", dominée par un "oncle" qui est seulement
un petit "parrain".
Quand commence le récit, l'un des membres de la "famille",
le leader semble-t-il, Marin, sort de trois ans de prison, et son premier geste
est de venir tabasser le narrateur. Juste vengeance sans doute, et celui-ci
ne s'en formalise pas. Il est plus urgent de se rendre chez l'oncle "vieillissant"
(il ne va pas tarder à mourir) et la terrible "tante". Tout
vieux qu'il soit, l'oncle veut encore réaliser un coup magistral. Marin
et lui n'ont peur de rien. Andréi et Pierre, eux, laisseraient bien tomber
tout ça. Renonceraient en tout cas à cette idée folle de
Marin, que l'oncle voit comme "l'absolue perfection du crime" : un
hold-up sans coup de feu, sans violence, dans un casino. Le butin sortirait
en montgolfière, il ne resterait plus qu'à le récupérer
en mer, un peu au large...
La perfection, en effet. Et une manière de perfection aussi chez Tanguy
Viel pour décrire les préparatifs, observer les variations d'humeur
de chacun, la peur des uns, l'exaltation des autres. "Tout était
réglé au millimètre, ce qu'on avait à faire et la
ponctuation marquée des actes, on avait pris le temps des semaines durant
de minimiser les risques, paramétrer, comme on dit, la situation, pour
atteindre ce qu'on nommerait à jamais l'absolue perfection du crime."
Arrive le grand jour, "le jour J". Une Mercedes se gare devant le
casino, avec à son bord le narrateur et Jeanne, la femme qu'il aime.
C'est l'acte un de ce plan répété minute par minute et
qui ne peut pas échouer. Mais, chacun le sait, le crime parfait n'existe
pas. Et là, en outre, l'affaire se révèle particulièrement
désastreuse. Il ne faut pas gâcher le plaisir de lecture car Tanguy
Viel a calculé au plus juste le suspense, l'inattendu, l'incompréhensible.
On ne trouvera pas la réponse à toutes les questions qu'on se
pose devant ce ratage absolu... Echec donc, puis police, arrestation (pas pour
tout le monde, certains meurent, d'autres s'enfuient), interrogatoire, reconstitution,
procès, prison (pas pour tout le monde non plus). Ce n'est pas Marin
cette fois qui se retrouve enfermé, c'est le narrateur. Et pour sept
ans. Mais on finit toujours par sortir ; et par revenir, sinon chez soi - on
n'a plus de chez soi -, mais sur ses pas, sur les lieux du crime qui ne fut
pas parfait. On se retrouve sans se retrouver. Tout a changé. Le bar
qu'on aimait est à la même place, toutefois il ne s'appelle plus
le Lord Jim. Pourquoi est-il devenu le Billy Budd ? Allez savoir. Probablement
"à cause de quelques soucis", dit le serveur qu'on ne connaît
pas. Plus rien n'est familier. Même le cognac a un goût bizarre,
presque écurant. Revoir Jeanne ? Bien sûr, et pour constater
que "même ses yeux, même ses cheveux, ils appartenaient à
quelqu'un d'autre". Décidément, c'est un de ces jours où
l'on "solde tous les comptes".
"Ce fut donc ton tour, Marin. J'aurais pu courir la terre entière
pour te retrouver. J'y aurais consacré le restant de mes jours."
Pour aller plus loin dans ces singulières retrouvailles, dans ce règlement
de comptes qui est, au fond, familial - comme si l'oncle avait vraiment fait
de son petit gang une famille avec ce que cela porte de violence quand l'un
se sent trahi -, il faut suivre Tanguy Viel, qui mène avec une belle
maîtrise cette course-poursuite qu'on lit avec une sorte d'urgence, tant
ce qui la motive - la vengeance - est effrayant. Au dernier moment "le
vent était tombé, constate le narrateur, (...) comme si même
le ciel voulait qu'on règle nos comptes sans lui"...
Josyane Savigneau