ORSON SCOTT CARD - les enfants de l'esprit
ORSON SCOTT CARD est mormon. Un vrai, un pur, élevé à Salt Lake City, et qui ne renie rien, la cinquantaine venant, de son appartenance. On est spontanément peu tenté de lire O. S. Card. Ah ! mais Card est aussi et surtout un merveilleux conteur, qui sait conjuguer la blague et l'épopée, l'aventure galactique et le chemin intérieur, pour déployer, splendide, coupante, la vieille, l'inusable, l'indispensable question : qu'est-ce donc qu'être soi ? Sacré problème, certes, idéal pour les dissertations. On est toujours assez peu tenté. Ah ! mais Card est un grand tisseur de fables, et un maître du suspense, et un virtuose de l'émotion. Pour tout dire, la certitude n'est pas son fort, il préfère, de loin, la déstabilisation. Et c'est ainsi que, contre toute attente, on est royalement heureux de lire O.S. Card.
Avec Les Enfants de l'esprit, s'achève le cycle d'Ender, la chronique en quatre volumes et trois mille ans de la rencontre entre les Terriens et les... autres, où l'enfant Ender, éduqué pour devenir l'ultime arme fatale, commet un " xénocide " tout en croyant jouer à un jeu vidéo vicieusement sophistiqué. Mission accomplie, l'ennemi est exterminé : mais c'était une erreur, il n'y avait pas d'ennemi. Ender devient une légende passablement ambiguë et passera toute sa vie, et les trois premiers splendides volumes du cycle, à essayer de se racheter, tout en se familiarisant avec " l'étranger " - les autres formes de vie intelligente, mais aussi bien cette part obscure de lui qui a su trouver la solution finale. Quand commencent Les Enfants de l'esprit, il n'est plus qu'un vieillard fatigué, dont l'ombre grandiose accable ses proches. Et tout recommence : à nouveau l'humanité est menacée, là on en est certain, et pas seulement l'humanité, d'ailleurs, mais les autres espèces intelligentes aussi bien. Sauvons-les tous ! Oui, mais comment ?
C'est là que l'auteur nous enchante. On est en plein cur d'une éprouvante course contre la montre, la petite bande des enfants et des chéris du super-héros d'Ender filent à travers les étoiles, le monde, le leur, en tout cas, risque d'être pulvérisé, et eux, ils " appellent leur maman ", ils taquinent l'idée que " la vie est une mission suicide ", ils traitent la toute-puissante intelligence artificielle qui les aide sans faiblir d'" agenda électronique surdoué ", et ils se demandent de qui véritablement ils sont amoureux : bref, ils ont des états d'âme. Ender se meurt, Ender est mort, d'accord, mais qu'est-ce que ça change ? Les vaillants représentants du Bien sont toujours parasités par son ombre, toujours barbouillés d'émotions contrariantes, et s'emmêlent toujours les neurones dès qu'ils doivent prendre une décision en leur nom propre. Ce qui n'aide pas à résoudre le problème de la survie de l'humanité. " Mais nom de D..., qui suis-je ? " bégaient-ils en zigzagant dans les galaxies. C'est saisissant. C'est épatant.
Le cycle d'Ender est à l'évidence une des grandes oeuvres de ce que l'on a pu appeler " l'Inconscience-Fiction " : ce beau domaine de la SF qui interroge l'identité tout en se grattant les puces. Mais Card ne donne pas de réponse : il se contente de raconter une histoire, une histoire en arborescence, qui relie chacun aux autres, indéfiniment, et où le seul " péché " est sans doute de se croire seul - comme un souverain, comme un empire. Les Enfants de l'esprit, en fin de... conte, nous offrent le sourire d'un gros Bouddha répondant au sourire du chat de Cheshire : car qu'y a-t-il de plus réjouissant que les efforts de simples mortels névrosés comme tout un chacun pour " passer une journée sans avoir tué quelqu'un " ou sauver la planète, ce qui n'est pas si différent ? Qu'y a-t-il de plus formidable que de saluer l'autre, en soi, dehors, même avec mauvaise humeur ? Savoir le raconter, peut-être...
EVELYNE PIEILLER.