CHRISTIAN COMBAZ - une heure avant l'éternité


Un nouvel opium du peuple.


Et si les expériences d'immersion virtuelle procuraient des sensations analogues à celles ressenties sous l'emprise de drogues ? C'est le thème visionnaire du nouveau roman de Christian combaz, où la science-fiction cesse d'être fiction.

Sciences et Avenir : En quoi la réalité virtuelle vous intéresse-t-elle ?
Christian combaz : Je suis convaincu qu'il y a dans la nouvelle réalité quelque chose qui dépasse la réalité. Il m'est arrivé d'avoir été très impliqué dans une programmation informatique, la construction d'un monde en 3D : en tant que programmeur, on rêve dedans. Au fond, ce monde virtuel est perçu comme un monde réel. C'est la même chose pour un romancier quand il mélange sa vie à celle de ses personnages. Il m'est même arrivé de rêver parfois dans le décor de mes livres. Cette limite, je la titille depuis longtemps. Et là, avec le prétexte que je me suis donné, je suis allé un petit peu loin.


Pourquoi parlez-vous de nouvelle réalité, plutôt que de réalité virtuelle ?

Le mot virtuel est un peu malade de tout ce qu'on en dit. Nouvelle réalité, pour moi, c'était plutôt nouveau monde, au sens de celui de Christophe Colomb. Je suis persuadé que depuis les palais imaginaires de Piranèse jusqu'aux mondes imaginaires de Dali, il y a un au-delà de la réalité, qui est en permanence désigné par les peintres, par exemple par le trompe-l'oeil. On se trouve, avec l'informatique, au point où l'on peut créer cette illusion à peu près parfaite. Et quand le cerveau perçoit une illusion comme parfaite, est-ce qu'elle reste une illusion ?


Vous faites un parallèle dans le livre entre l'immersion virtuelle et certaines drogues hallucinogènes. Pourquoi ?
La question morale que je pose dans le livre est la suivante : si l'on arrivait par un procédé de pure suggestion visuelle à provoquer un délire de type LSD, est-ce que la boîte à images serait interdite par le gouvernement ? Je pense que oui, car les pouvoirs terrestres ne supportent pas qu'on déconnecte de la réalité. Les pouvoirs qu'on appelait autrefois temporels, et qu'on appelle désormais civils, ont besoin que vous soyez présents dans le jeu social. Ce qui se passe dans les soirées techno où les jeunes se perdent eux-mêmes durant 24 heures est suspect pour les pouvoirs publics, indépendamment de la drogue elle-même. Si on arrivait par je ne sais quelle modification du son, et seulement du son, à provoquer une quasi-syncope chez ces jeunes, ce serait illégal aussi. Parce que, ce que n'aime pas le pouvoir, c'est qu'on change de référent. Notre référent, c'est le réel, c'est papa, maman, la société hiérarchisée, etc. Dans un monde de type LSD, il n'y a plus de référent de type hiérarchisé, nous ne sommes plus dans la fourmilière.

Vous êtes-vous inspiré des recherches de Timothy Leary* pour décrire les voyages hallucinatoires des héros de votre livre ? J'ai suivi l'aventure LSD de Timothy Leary. Et je me suis surtout documenté sur le DMT (diéthyltryptamine), substance qui devient très à la mode en ce moment et que Leary avait testé en 1960. Les phénomènes hallucinatoires décrits concernant cette drogue sont très semblables à ceux qui sont racontés dans le Livre des Morts tibétain : les ballons de couleur vus sous DMT ressemblent à ces lumières qui vous accueillent en vous posant des questions sur votre vie, décrites noir sur blanc dans le Livre des Morts.

Si les cabines d'immersion se généralisaient, cette nouvelle réalité ne pourrait-elle pas devenir un instrument de pouvoir ? Dans mon livre, j'émets l'idée que les grands empires de ce monde ne supportent pas "l'autre monde" dans la mesure où ils ne peuvent pas le contrôler. Mais si, par le biais du divertissement, une société se rendait maître d'un procédé de type prodigieux, c'est-à-dire qui relève pour les trois quarts des gens de la magie, elle aurait entre les mains le procédé commercial par excellence, qui subjuguerait des millions et des millions de personnes. Je crois que nous nous dirigeons actuellement vers des zones un peu dangereuses, non seulement dans le domaine de la génétique, mais également dans celui de la nouvelle réalité. Dans cette sphère, celui qui détiendra demain le pouvoir d'étonner les foules détiendra le pouvoir sur ces foules.

Propos recueillis par Laurent Clause


Sorte de double fraternel de l'auteur, Simon Faugier traverse les romans de Christian Combaz avec une lucidité un peu amère. Après (entre autres) Messieurs, et Chez Cyprien, revoici l'écrivain un peu sauvage, et qui vit reclus dans un village de montagne, parti aux Etats-Unis sur les traces de son frère Christo, expert en programmes informatiques. Là, Simon se retrouve au milieu d'une étrange histoire de manipulation mentale dans laquelle la société créée par Christo tire les ficelles de stupéfiantes pratiques.
En effet, avec quelques associés, dans un monde où l'industrie des loisirs jette ses forces dans la recherche de la perfection en matière d'imagerie virtuelle, le Français vient de créer le pod, sorte de cocon tapissé d'écrans et qui permet d'affecter l'intégrité mentale de l'opérateur en lui faisant subir des chocs visuels altérant sa perception du temps et de la causalité. Avec pour tout individu se soumettant à l'épreuve extrême la même représentation d'un dôme qui incarne l'archétype absolu de l'imagination mystique humaine.
Croyant depuis longtemps à l'existence d'une physique parallèle qui s'intéresse à une surréalité, et à ses modes de fonctionnement, Christian Combaz, par le biais d'un thriller cosmogonique, poursuit sa réflexion ontologique sur l'au-delà commencée avec son roman Franz dont il est beaucoup question ici.
Version technologique du chaman sibérien, et des derviches tourneurs du soufisme islamique condamné par les intégristes, le pod se retrouve fustigé par la société qui s'est toujours défendue contre la possible existence de mondes parallèles. La méfiance des pouvoirs temporels à l'égard des illusions terrestres et des conséquences de leurs applications, par exemple les ravages des illuminations rimbaldiennes et des souffrances du jeune Werther, constitue le socle d'un deuxième roman où après le récit d'anticipation vient se greffer un hymne à la parole artistique.
Connaissant bien les Etats-Unis, mais situant sa passion pour ce continent du côté d'écrivains comme Cowper Powys et J.D. Salinger, chantres d'une civilisation à visage humain, Combaz dénonce au passage l'argent sale, les sectes, le totalitarisme de l'image, dans une prose diabolique qui sait aussi installer des dizaines d'émouvants personnages. On souffre beaucoup dans cette saga familiale remplie de compassion, et on secourt autrui sur qui on pose, comme toujours chez Combaz, un regard plein de pardon. Au final un technothriller d'inspiration philosophique chrétienne.

Jean-Rémi Barland