VLADAN RADOMAN - y a-t-il
une vie sexuelle après la mort ?
C'est un régal de finesse, d'humour et de poésie. L'auteur y ose cette question essentielle, d'une évidente portée métaphysique : Y a-t-il une vie sexuelle après la mort ?
Michel Abescat
C'est à Nice, où il vit depuis 1973, que Vladan Radoman, installe l'épopée politico-meurtrière de son héros Toar Vic. Transfuge des services secrets yougoslaves, médecin et écrivain à l'occasion, ce personnage va cingler vers des eaux pas très limpides.
Un jour de novembre cotonneux. 1936. Sur les bords du Danube, une petite ville yougoslave : Novi Sad. Vladan Radoman, arrive dans un monde au bord du conflit mondial qui allait meurtrir l'Europe et déchirer son pays. Chez lui, peu de livres. Mais sur le même palier, l'appartement des voisins possède un trésor : une bibliothèque. À 10 ans, dévoré d'une boulimie précoce, Vladan lit tout ce qui lui tombe sous les yeux. Tout, de Tolstoï à Maupassant. "Tout et trop tôt ". Le petit garçon qui allait étudier le français au lycée met désormais ses rêves au diapason de ses lectures en cyrillique et en lettres latines. Lire des histoires, oui. Mais en raconter aussi.
Alors, lorsque son Dieu orthodoxe lui faisait encore les yeux doux, il le priait enfant, pour que le lendemain les histoires inventées qu'il raconte à ses parents les fassent rire. Et puis il y a aussi la mer Adriatique où il va se baigner avec ses copains. Cette extension balkanique de la Méditerranée sur les rivages de laquelle il vit depuis 1973. Vladan Radoman est un homme écartelé entre ces deux mers qui n'en font qu'une, écartelé entre ses deux destins parallèles. Car le jeune garçon qui rêvait d'être écrivain va d'abord devenir médecin. Anesthésiste. Et lorsque l'emprise de Tito rognera de sa liberté, il ira s'installer à Paris, en 1963. Paris dont il était tombé amoureux pendant des vacances. Mais la langue de Maupassant enflamme toujours son imagination. C'est sûrement elle qui l'a soutenu quand il a dû refaire à Nanterre, toutes ses études de médecine, faute d'équivalence des diplômes. Après la publication d'une douzaine de romans, il donne vie, l'an dernier, à Toar Vic, ex-tueur des services secrets yougoslaves, dans Bleu Mistral. Lassé d'attendre une réponse de son éditeur, il propose l'épopée de son héros à Patrick Raynal, patron chez Gallimard de la Série Noire.
Comme lui Toar aime la mer, comme lui il est médecin. Mais la comparaison s'arrête là, car Toar sort d'un hôpital psychiatrique et il va errer dans un Nice cataclysmique ou règne l'anarchie. Bien sûr que dans ce roman il y a du suspense, du sexe et du sang, bien sûr que David Goodis a publié dans la prestigieuse collection noire et jaune, bien sûr que le polar est un genre noble à part entière N'empêche que la trilogie au titre générique "la Ballade d'un Yougo" qui englobe Bleu Mistral, Orphelin de Mer et 6, rue Bonaparte est de la meilleure veine. La poésie y côtoie le baroque d'un récit où Vladan Radoman dit, avec un humour noir teinté de douleur, que sa Yougoslavie est devenue schizophrène. "Schizo" comme Toar parti sur son bateau Ada, à la recherche d'un îlot de pureté vierge de la folie des hommes.
Révolté
par la misère du monde et dopé par l'énergie des déracinés,
Radoman fut, avec Bernard Kouchner, l'un des tout premiers "french doctor"
à se rendre au chevet des enfants du Biafra. Médecins sans Frontières
allait voir le jour. C'est à ce moment qu'il s'est enfin autorisé
à allonger la liste des médecins passés de l'autre côté
des livres : Rabelais, Tchekhov, Boulgakov ou Céline.
Plus qu'une trilogie niçoise, comme il y a eu la trilogie marseillaise
de Jean-Claude Izzo, cette odyssée est une histoire née des vicissitudes
de l'Histoire. Entre son bateau ancré au port de Nice, Ada II, et sa
maison aux plafonds peints, Vladan Radoman mitonne une suite à Y-a-t-il
une Vie Sexuelle après la Mort, à paraître à la Série
Noire, pour oublier l'embrasement de ses Balkans.