MARCELLO FOIS - un silence de fer
Marcello Fois, chantre de la nouvelle littérature italienne
L'âme
sarde
Portrait de Marcello Fois paru dans Télérama le
8 juillet 2000.
Dans ses deux derniers livres, l'auteur explore l'identité de son île, la Sardaigne, écartelée entre tradition et modernité, en lutte contre le grand frère italien. Une vaste fresque historique aux accents âpres et rocailleux.
Il
y a du lutin chez Marcello Fois. Une malice. Une effervescence de l'esprit et
du verbe qui force la sympathie. "Pas très haut de taille",
comme il l'écrit d'un de ses héros, le poil aussi noir que l'oeil,
Sarde du fond du coeur jusqu'au bout de la moustache, mais Bolonais d'adoption,
le jeune homme a su s'installer, en quelques années, à tous les
étages des lettres italiennes. "Je suis pour l'écrivain à
360°", répète-t-il, gourmand. Romans, pièces de
théâtre, scénarios de cinéma, séries télévisées,
programmes de radio, Marcello Fois a tout essayé. Jusqu'au livret d'opéra
qu'il vient de tirer du livre de Valerio Evangelisti, Nicolas Eymerich, inquisiteur.
Couronné dès son premier roman, Picta, par le prix Calvino, en
1992, cet écrivain de 40 ans poursuit ainsi, depuis dix ans, une ambition
qu'il énonce avec un sourire désarmant : "J'écris
pour rester, pas simplement pour passer dans la littérature. Mon projet
trouve sa place dans la permanence."
Cette ambition, Marcello Fois l'inscrit dans le mouvement d'une génération
d'auteurs décidés à sortir de l'impasse où se trouvait,
selon lui, la littérature italienne. "Après la mort des pères,
celle de Moravia, de Calvino, de Pasolini, le roman italien s'est peu à
peu enlisé dans la recherche expérimentale, sans se préoccuper
des lecteurs. Orphelins sans héritage, les auteurs de ma génération
ont ainsi été conduits à se chercher de nouvelles références
que nous avons trouvées chez Buzzati, Sciascia, Scerbanenco ou Gadda.
Autant d'écrivains qui, à nos yeux, ont montré la voie
d'une littérature à la fois exigeante et accessible. Qu'est-ce
qu'un livre, en effet, s'il n'a pas de lecteur ?"
A l'aube des années 90, aux côtés de Carlo Lucarelli, de
Loriano Macchiavelli et de Gianni Materazzo, Marcello Fois fonde ainsi le Groupe
13, qui fera par la suite de nombreux émules. Ni manifeste ni école
littéraire, le Groupe 13 tient plutôt de l'atelier d'échange
où se retrouvent de jeunes auteurs liés par le même projet
: faire de la "bonne" littérature destinée à
un vaste public, c'est-à-dire, comme l'avait fait Sciascia, sans craindre
de se salir les mains dans le roman de genre et en particulier dans le roman
noir. Quitte à en pervertir ra- dicalement les codes pour n'en conserver
que le pouvoir de séduction. Dès 1991, une anthologie de nouvelles,
Les Crimes du Groupe 13 (Tram' éditions, 1998), leur servira de carte
de visite.
Sous couvert de roman noir, Marcello Fois, le plus brillant du groupe, poursuit
depuis lors une oeuvre singulière, dominée par le thème
de l'identité. Sheol (paru en français chez Tram' éditions
et repris par Points Seuil) met en scène, par exemple, un inspecteur
de police romain confronté à la disparition d'un membre éminent
de la communauté juive, et, par là même, à ses propres
origines, lui qui fut confié à sa naissance à des parents
adoptifs pour échapper à la déportation. Mais le grand
oeuvre de Fois, son défi à la littérature, est une vaste
fresque à l'ambition balzacienne : explorer l'identité de son
pays, la Sardaigne, à travers un siècle d'histoire, celle de Nuoro,
la petite ville où il est né, en 1960. Six tétralogies,
dit-il, lui seront nécessaires ! Deux sont déjà en chantier.
L'action de la première se situe à la fin du XIXe siècle,
dans une île âpre et rurale, mal intégrée à
la toute récente communauté italienne, écartelée
entre tradition et modernité. Son héros, Sebastiano Satta, dit
Bustianu, avocat et poète, a réellement existé. Et, à
travers lui, c'est l'âme, l'imaginaire même de son pays que Fois
tente de reconstituer. Avec une puissance poétique qui évoque
le Giono de Colline ou de Regain et un travail sur la langue proche de celui
du Sicilien Andrea Camilleri. Les deux premiers volets, Sempre caro et Le Sang
du ciel, mêlent ainsi l'italien du XIXe siècle au dialecte sarde
à un moment où les deux cultures s'affrontent à égalité.
Un silence de fer ouvre la seconde tétralogie, contemporaine. Le sarde
a disparu. Il n'apparaît plus que dans la construction de la phrase, certains
déplacements syntaxiques... La langue, beaucoup plus heurtée,
sèche et efficace, traduit le bilan désastreux d'un siècle
de luttes chaotiques. A travers l'histoire d'un attentat terroriste manqué,
en août 1980, et de son lamentable épilogue dix ans plus tard,
Un silence de fer brosse le portrait d'un pays en grand désarroi, prisonnier
de lui-même et de son passé. Celui aussi d'une communauté
de militants égarés dans une conception de l'identité réduite
au nationalisme le plus étroit. A l'opposé de celle de l'auteur,
pour lequel elle est d'abord un don et un passeport : "Ma sardité
est ce qui me permet de me sentir citoyen du monde."
Michel Abescat