DEON MEYER - les soldats de l'aube


Zatopek, flic en Afrique du Sud

A la façon d'Ed McBain, Deon Meyer retrace les enquêtes d'une brigade criminelle du Cap.

Le sentiment de culpabilité est un des ressorts traditionnels du roman policier mais quand il est partagé par tout un peuple il prend une dimension politique particulière.
Les romans de Deon Meyer appartiennent indiscutablement au genre policier ; les aventures de la brigade des vols et homicides du Cap semblent même par moments une transposition dans la réalité sud-africaine des tribulations du 87e district d'Ed McBain.

Mais le régime de l'apartheid dont la police a été l'un des principaux instruments n'a pas disparu sans laisser de traces. "Si j'accorde une telle place à la politique, dit Deon Meyer, c'est qu'elle fait partie de ma réalité. Nous sommes accablés par le fardeau des choses terribles que nous avons faites et par le défi que représente la naissance d'une nouvelle Afrique du Sud."
Il y a une dizaine d'années, Deon Meyer a été le premier avec Wie met Vuur speel (Jouer avec le feu) à écrire des romans policiers en afrikaans. Ce livre qu'il considère comme un galop d'essai, il préfère l'oublier : "Un premier roman c'est un peu comme avoir un frère en prison. On préfère ne pas en parler mais on ne peut nier qu'il existe." Le deuxième (Jusqu'au dernier) raconte la métamorphose de l'inspecteur Mat Joubert qui ne se remet pas de la mort de sa femme, policier tué en service. Confronté aux méthodes d'un nouveau chef et à la nécessité de travailler sur deux enquêtes, il va retrouver sinon la joie de vivre du moins une certaine efficacité.
Les Soldats de l'aube mettent en scène le personnage de Zet van Heerden (ses parents l'ont prénommé Zatopek en hommage au célèbre athlète tchèque). Son père est mort lors d'une catastrophe minière, sa mère, peintre reconnu, l'élève au milieu d'un cénacle d'artistes et de poètes. S'il entre dans la police c'est pour résoudre une affaire qui l'a traumatisé dans son enfance : l'assassinat d'une belle voisine qui lui a procuré ses premiers émois sexuels. S'il en sort, c'est, officiellement, parce qu'il n'a pas supporté de voir son équipier et mentor assassiné sous ses yeux. La vérité est plus compliquée. Zet, en tant que policier, s'est pris pour une sorte de chevalier blanc chargé de rétablir un peu de justice dans un monde corrompu jusqu'à ce qu'il découvre les turpitudes dont il est lui-même capable. L'enquête à laquelle il se livre en tant que détective privé, retrouver le testament d'un homme abattu d'une balle de M-16 dans la nuque après avoir été torturé, n'est qu'un prétexte qui permet de dévoiler les zones troubles du passé. En révélant l'implication des services secrets sud-africains auprès des Américains dans la guerre d'Angola au cours des années 1970, l'enquête de Zet van Heerden provoque une véritable bataille rangée où s'affrontent mafia, police et forces spéciales.
L'intrigue et les personnages de Deon Meyer sont parfaitement classiques (Zet cuisine à merveille et est capable de casser la figure à quiconque ose médire de Mozart en sa présence) mais l'arrière-plan politique leur donne une résonance originale. L'essentiel n'est pas de savoir si on retrouvera, dans le court délai d'une semaine, le testament qui permettra à Wilna van As d'hériter mais plutôt de comprendre l'origine plus ou moins douteuse de la fortune en question. Les Soldats de l'aube transposent sur le plan de la fiction la démarche que la Commission vérité et réconciliation a suivie en Afrique du Sud et démontre que s'il est particulièrement difficile de faire coexister d'anciens ennemis, le plus délicat est encore de se réconcilier avec soi-même.

Gérard Meudal