BOSTON TERAN - Satan dans le désert


Une visite guidée de l'enfer

C'est à la frontière américano-mexicaine, espace de tous les trafics, que Boston Teran situe l'intrigue implacable de son roman. De l'affrontement des deux héros, confrontés à la barbarie d'une secte satanique, naît une tension qui sert une réflexion sur la violence.

Une frontière est un cadre idéal pour une intrigue policière, lieu d'échanges ou ligne de fuite, elle se prête bien sûr à toutes sortes de trafics, et Boston Teran fait de ce thème un usage original. En situant l'action de son roman à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, il choisit un décor particulièrement frappant, ces immensités désertiques où l'on peut rouler pendant des heures sans rencontrer âme qui vive, sauf parfois quelque paumé vivant dans une caravane déglinguée, mais il fait surtout de la frontière la métaphore de toutes les transgressions.

Son héros, Bob Hightower, n'a rien du policier de choc, toujours prêt à traquer les truands. C'est plutôt un homme tranquille que son métier n'a pas encore dégoûté de l'humanité et qui n'est pas loin de croire, peut-être en raison de ses convictions religieuses, qu'il vit dans le meilleur des mondes possibles. D'aucuns diraient que c'est un brave type, d'autres, un pauvre type. C'est à cette dernière conclusion que sa femme a dû arriver puisqu'elle l'a quitté, en emmenant leur fille Gabi, âgée de 14 ans.

Lorsque son ex-femme est assassinée en compagnie de son nouveau compagnon et que Gabi est enlevée, Bob Hightower change radicalement. Il se met en congé de la police, qui ne manifeste pas beaucoup de zèle dans cette affaire, et il se lance à la poursuite des coupables dans l'espoir de retrouver sa fille, puis sur la piste d'une secte satanique qui se livre à toutes sortes de violences mais aussi à des crimes plus classiques, dont le trafic de drogue.

LA CARPE ET LE LAPIN

Contre son gré, Hightower se voit contraint de faire équipe avec Case, une jeune droguée qui fut elle-même victime de la secte et cherche une occasion de se venger. Le tandem de détectives, opposés par le caractère mais complémentaires dans l'enquête, est une figure classique du roman policier mais ici on a vraiment affaire au mariage de la carpe et du lapin. Hightower a besoin de Case pour retrouver et infiltrer la secte, mais comment faire confiance à une droguée qui cherche probablement à l'attirer dans un traquenard ? Quant à Case, on imagine ce qu'il lui en coûte de pactiser avec un policier, surtout quand il s'agit d'un petit-bourgeois moralisateur.

La tension entre ces deux personnages donne un relief extraordinaire à cette chasse à l'homme. Ce sont deux conceptions du monde qui s'affrontent au cours de cette visite guidée de l'enfer, deux façons de réagir à la violence et d'essayer de l'expliquer. Les actes barbares pratiqués par les cinglés de la secte du Sentier gaucher semblent obéir à une folie meurtrière gratuite, et le pire pour Hightower sera de découvrir des explications à cette folie et même d'en repérer les sources plus près de lui qu'il ne l'imaginait. Peut-être d'en être lui-même atteint, comme si la contagion du chaos s'étendait depuis la nature hostile qui l'entoure jusqu'aux individus en passant par la société tout entière. "Là, tu as la vallée de la Mort. Et ici, les monts de Panamint, où les chercheurs d'or de 1849 ont trouvé leurs filons d'argent. Et où Charles Manson pratiquait son culte du chaos. Par là-bas, c'est le site des essais atomiques du Nevada. L'opération Buster Jangle. Tu savais qu'ils habillaient des porcs comme des humains avant de leur balancer leurs bombes ? Les tests en situation quasi réelle, comme ils disent. Plus loin, c'est Las Vegas. Capitale des joueurs de dés aux phalanges blanches. Puis, le site du premier homme, après quoi la 66 traverse la décharge la plus dangereuse de toute l'Amérique du Nord. Ensuite, l'arbre de Joshua et la mer de Cortez, où on trouve les plus vieilles espèces du continent. Et enfin le cauchemar favori de l'Amérique débrouillarde : L. A., l'Armageddon."

On sait peu de choses de Boston Teran puisqu'il s'agit du pseudonyme d'un auteur qui prend soin de cacher son identité. Il a écrit trois romans. Satan dans le désert est le premier publié aux Etats-Unis mais le deuxième à être traduit en français après Méfiez-vous des morts (de Masque, 2002). Deux livres qui témoignent de l'alliance d'une réflexion quasi métaphysique sur la violence et d'une intrigue d'une efficacité redoutable.

Gérard Meudal