CRAIG RUSSEL - rituels sanglants
A Hambourg, le passé et les cultes païens ressurgissent de la manière la plus brutale qui soit. Un serial killer provocateur éventre sauvagement des jeunes filles et, suivant scrupuleusement un ancien rituel viking, expose telle une œuvre d’art les poumons et les viscères de ses victimes. Le tout ressemblant de façon macabre à un papillon épinglé. Chacun de ces crimes barbares est signé "Fils de Sven" et revendiqué par un mail envoyé à l’erster kriminalhauptkommisar (ou premier commissaire principal, pour les non-germanophiles) Jan Fabel.
Les événements dramatiques se succèdent. Une jeune fille a réussi à s’échapper, mais elle avait été droguée et ne peut se rappeler que des scènes de viol où plusieurs individus portaient un masque d’Odin. Elle est sûre que des hommes différents ont abusé d’elle et se souvient parfaitement d’une marque qu’avait l’un d’eux à son poignet. Dans le même temps, une journaliste est assassinée suivant le même rituel. Journaliste qui avait en vain tenté d’approcher Jan Fabel. Un junkie est témoin du meurtre d’un policier infiltré auprès de la mafia ukrainienne nouvellement implantée à Hambourg et qui élimine peu à peu les gangsters turcs de la ville. À leur tête, un ancien colonel de l’armée ukrainienne qui a fait les campagnes d’Afghanistan et de Tchétchénie. Un héros pour la population russe, un tortionnaire de première tel que l’on n’en a pas vu depuis la Deuxième Guerre mondiale. Un être sanguinaire, dénué de toute humanité et à qui les survivants de son escouade - une vingtaine d’hommes - vouent un culte sans faille bâti en terrain ennemi quand les autorités russes les avaient abandonnés. Et puis il y a Eitel père et fils. Deux investisseurs allemands. Le père est un ancien SS qui a évolué sur le front de l’Est, en Ukraine. Le fils, un politique qui brigue la mairie.
Dans ce magma d’hémoglobine et de haine, il est beaucoup trop question de l’Ukraine, des Vikings et de culte. Les Vikings, ce sont eux qui sont à l’origine de la création de la Russie, telle qu’on la connaît. Venus de Suède, ils ont bâti un empire par l’entremise de Rurik, un Rus. Ils ont été à la rescousse de Kii, qui s’appellerait par la suite Kiev. Au milieu de tout ça, erre John MacSwain, mi-écossais mi-allemand, amoureux de Hambourg et odiniste (fervent d’Odin) convaincu. Le commissaire Fabel tombe amoureux, ce qui ne lui était pas arrivé depuis cinq ans et le divorce d’avec sa femme, au plus mauvais moment. Il est, de toute évidence, celui que le serial killer a désigné comme étant son adversaire. Ses équipiers mettent plus que les bouchées doubles. Ils prennent cette histoire à cœur. Au sein de la police de Hambourg, des traîtres laissent traîner leurs oreilles et alimentent les "Ukrainiens". Il y a quelque chose de pourri au royaume de Hambourg. Le grand ménage se prépare. Il ne sera pas sans douleur.
Rituels sanglants est un thriller parfaitement maîtrisé ; son auteur, Craig Russell, est un quinquagénaire écossais ancien officier de police. L’art de la tension dramatique est pratiqué avec brio. On navigue dans la ville de Hambourg que l’on sent encore meurtrie par son passé nazi. Jan Fabel est membre de cette police qui a procédé aux premières arrestations en 1933 et qui a créé un des premiers camps de concentration. Hambourg est une ville d’Histoire. Ses racines, son histoire, qui ont été dénaturées par Adolphe Hitler, sont toujours aussi fortes. Dans ce roman, d’autres illuminés reprennent le flambeau. Qu’ils soient psychopathe ou dénués d’humanité par leur expérience de l’horreur lors de guerres civiles - ce qui est actuellement un véritable problème en Russie où nombre de soldats démobilisés se répartissent entre ceux qui sont internés dans un hôpital psychiatrique et ceux qui se sont tournés vers le banditisme et pour qui le meurtre est un acte devenu froid et commun - tous éprouvent le besoin d’exorciser leurs démons à travers un expédient.
L’horreur est omniprésente et va sans cesse crescendo. Les rues de la ville ne sont absolument pas sûres. Chaque découverte d’un cadavre suscite à la fois honte et rejet, mais aussi une interrogation majeure : comment de telles atrocités peuvent-elle être commises ? Plus qu’un thriller aux ficelles bien exploitées, Rituels sanglants nous alerte sur les diverses méthodes que l’homme met en œuvre pour abandonner les siens, les livrant à une déchéance inhumaine - du junkie squelettique dans un squat de la ville à des soldats confrontés à leurs propres exactions. Rituels sanglants est un roman à lire pour mieux comprendre les drames à venir. Un Jan Fabel ne peut venir à notre aide. Son approche est trop simpliste, trop empirique. Il n’y a pas que des bons et des méchants. Il y a des êtres exacerbés qui peuvent laisser la bête qui est en eux prendre définitivement le dessus. Alors, un Ukrainien au regard aussi vide que froid, aux gestes précis et vifs tel un horloger suisse, et au charisme de leader surgit et déchaîne toute une haine qu’il avait refoulée pour le plus grand malheur de ceux qui croisent son chemin. Le pire n’est peut-être pas arrivé avec la montée du nazisme en Allemagne. Dans un monde où la violence ne cesse que de croître, Craig Russell ne se berce d’aucune illusion. Tout est mélange de rouge et de noir. Rouge comme le sang, noir comme les ténèbres qui nous attendent.
Julien Védrenne.