STEPHANIE BENSON - Palazzo maudit
Les
eaux troubles de Venise n'arrêtent pas de titiller l'imagination des auteurs
de romans policiers, au point de créer presque un genre à part
entière, le polar lagunaire. L'originalité de Stéphanie
Benson est d'imaginer une Venise à peine futuriste (on est en 2020) et
dont les problèmes sont ceux que connaît déjà la
ville aujourd'hui, mais en plus accentués : fragilité des constructions,
problème de l'eau, pollution, etc.
Quant au détective, il ne s'agit pas d'un individu mais d'un groupe d'enquêteurs
d'élite dirigé par un certain Tommy qui n'est peut-être
qu'une intelligence artificielle. Le réseau Epicur (European Police Investigatory
Crime Unity Reserve), qui a déjà fait son apparition dans Carnivore
Express, préfigure ce que pourrait être dans un proche avenir la
police européenne, une sorte d'Interpol hypersophistiqué disposant
de toutes les techniques de pointe en chimie, génétique, informatique,
etc., et à qui n'importe quel citoyen européen pourrait faire
appel pour pallier les défaillances des polices nationales. On voit les
développements auxquels une telle idée peut donner lieu. L'évolution
à court terme de la situation politique européenne joue ici un
rôle important (avec par exemple le rapprochement plausible entre une
Italie du Nord sécessionniste et l'Autriche). Mais le plus amusant, ce
sont les rapports au sein d'Epicur. On peut douter de l'identité et même
de l'existence physique du chef, ce Tommy avec qui on ne peut correspondre qu'à
l'aide d'ordinateurs ou de téléphones portables sophistiqués,
mais en revanche les membres du groupe sont bien vivants. Ils ont une histoire,
des passions et des rapports parfois difficiles entre eux. Ils sont solidaires
mais aussi un peu rivaux, et sont humains même s'ils fonctionnent comme
des machines. Et il y a là matière à toutes sortes de rebondissements.
Le Monde