COLIN THIBERT - Noël au balcon


Qui sème le vent récolte la tempête, cet adage bien connu ne manque pas d'applications dans le domaine du roman policier, sauf que la tempête bien réelle dont il est ici question défraya la chronique avant d'accéder au statut d'élément central d'une fiction.

Il s'agit de la tempête du 26 décembre 1999, qui balaya une bonne partie de la France et dont les dégâts sont encore visibles aujourd'hui.
Imaginons que cette bourrasque vienne donner un coup de main inespéré à une bande d'arnaqueurs minables qui rêvent du grand coup sans avoir aucunement les moyens de le réaliser. Les pires forfaits de cette bande de Pieds-Nickelés à la petite pointure consistent à voler des matériaux sur les chantiers ou à emboutir au volant d'un véhicule déjà cabossé une voiture conduite par une vieille dame pour tenter une escroquerie à l'arrangement amiable. Des boulots de gagne-petit. Dans lesquels ils arrivent pourtant à commettre des erreurs impardonnables. Comme oublier un téléphone portable dans une voiture qu'il a fallu abandonner devant l'hostilité des témoins et qui va servir de bombe à retardement dans la suite de l'histoire - il est amusant d'ailleurs de voir à quel point ce nouvel instrument de communication a trouvé sa place dans le roman policier, auquel il apporte tout un éventail de situations inédites. Ici, il ne cesse pas de sonner, dans la poche d'un tueur en planque qui se voulait discret mais avait oublié de couper la sonnerie de son engin ou dans la tombe d'un mort qui n'est autre que le même tueur ayant lamentablement échoué dans sa mission.
Pour son premier roman dans la "Série noire", Colin Thibert, qui a écrit de nombreux scénarios pour la télévision et plusieurs livres pour enfants, brosse un tableau tragi-comique de la société contemporaine. Ses personnages relèvent plus du système D sans scrupule que du grand banditisme. Ce n'est pas l'envie d'être méchants qui leur manque, ce sont les moyens de leurs ambitions. Ils font même preuve dans leurs aspirations criminelles d'une bonne volonté qui finit presque par les rendre touchants. Comme ces deux types réduits à jouer les Pères Noël dans une grande surface et qui espèrent profiter de leur déguisement pour préparer un casse, cet héritier d'une marbrerie funéraire qui cache du matériel volé dans ses tombeaux, cette fonctionnaire des impôts qui par amour s'acoquine avec la bande de petits malfrats où elle manifeste rapidement des qualités assez remarquables ou cette gardienne de la paix qui, pour se venger de devoir dormir solitaire avec son ours en peluche à cause d'un physique ingrat, décide de jouer cavalier seul et d'utiliser les renseignements qu'elle a pu glaner pour organiser un chantage.
Tout cela ne tirerait pas vraiment à conséquence sans ce deus ex machina tombé du ciel sous la forme d'un ouragan qui va brutalement changer la donne. Quand la toiture du Crédit francilien qu'ils rêvaient de cambrioler sans trop savoir comment s'y prendre va être arrachée par la tempête, nos malfrats vont s'engouffrer dans la brèche. Mais si l'occasion fait le larron, elle ne confère pas de génie par un coup de baguette magique. Dans la pagaille engendrée par la violence des éléments, les cambrioleurs vont se laisser entraîner par des circonstances qui les dépassent et accumuler les gaffes, avec une vraie naïveté d'enfants de chœur.
Colin Thibert reprend toutes les situations classiques du roman policier pour les traiter sous l'angle de la dérision. Cette fresque rocambolesque y gagne un ton curieux, à la fois comique et désabusé. Il n'est plus question de lutte entre le bien et le mal puisque, du petit délinquant au gangster en col blanc, tout le monde est partant pour la course à l'arnaque. Au bout du compte, la différence n'est qu'une question de talent et le plus coupable n'est pas forcément celui qu'on croit.

Gérard Meudal