BATYA GOUR - meurtre sur la route de Bethléem
Jérusalem, le quartier de Baqa'a, au sud-ouest de la ville, conserve un cachet particulier. Est-ce son caractère, encore presque intact, d'ancienne résidence bourgeoise d'Arabes chrétiens ? Le mélange entre anciens immigrants «orientaux», nouveaux venus anglo-saxons et français, militants de «la Paix maintenant» et religieux plutôt modérés (pas de trace, à l'horizon, d'uniforme noir orthodoxe) ? L'entremêlement d'HLM, un peu retapées, et de maisons arabes, bien conservées pour la plupart ? Toujours est-il que Baqa'a apparaît comme une enclave, un havre, dans l'écheveau des villages qui constituent la Ville sainte. Ici, les fureurs de la cité trop disputée parviennent comme étouffées, bien qu'elle ait connu son lot d'attentats. Mais la beauté de l'architecture, la profusion des jardins, les mœurs tempérées de ses citoyens lui offrent un visage avenant, et recherché : les «bobos» indigènes débarquent par convois. C'est d'abord ce génie du lieu que Batya Gour saisit. Car, sous cette surface lisse, dans le dédale de ces impasses secrètes, sous les hauts plafonds en ogive des demeures, se trament des drames horribles : l'auteur, dont chaque livre explore les ressorts de l'âme et les «tas de petits secrets» des classes sociales, débusque ici les remugles de la néo-bourgeoisie locale.
Michel Ohayon, son commissaire emblématique, se heurte aux passions mauvaises qui pourrissent les voisinages (un bout de parking qui empiète sur un jardin, une corde à linge indûment utilisée...), aux haines ethniques entre séfarades et ashkénazes, aux amours contrariées entre un jeune homme blond, trop beau, et une sublime brune, à la peau trop mate, aux fantasmes d'une enfant solitaire, trop grosse. Et, surtout, il découvre la plaie béante laissée par l'effrayante affaire des «enfants yéménites volés» à leurs parents démunis de tout dans leurs camps de transit, à la fin des années 40, et confiés pour adoption à des parents plus «méritants». Ce scandale, révélé à la fin des années 90, a secoué Israël et conduit le rabbin Mechoullam, d'origine yéménite, à s'enfermer dans un «fort Chabrol», assiégé par la police pendant de longs jours. Cruauté et compassion, connaissance intime des bassesses humaines, tels sont les ingrédients de l'art de Batya Gour. Ce polar vaut bien des traités de sociologie sur la société israélienne et sur ses cauchemars hors d'âge.
Jean-LUC ALLOUCHE