RENE FREGNI - lettre à mes tueurs


« Marseille est une ville qui vous enlève le goût de voyager, d'une rue à l'autre vous changez d'odeurs, de bruits, de continents. » On a l'impression d'entendre l'accent tout en douceur de Jean-Claude Izzo, cette voix qui racontait d'un même élan la beauté et la folie d'une ville, ses hommes déchus, ses enfants perdus. Marseillais, il l'est aussi, René Frégni. Avec ce neuvième roman, d'un désespoir fou et d'une sensualité dévorante, Frégni salue l'ami Izzo : cette Lettre à mes tueurs raconte tous les émerveillements et les effarements que jadis ils partageaient ensemble.

Le narrateur, Pierre, est écrivain. Il cherche depuis six mois la première phrase d'un nouveau roman lorsque déboule chez lui un copain d'école, perdu de vue depuis des lustres et salement amoché. Les retrouvailles sont brèves : l'ancien camarade est devenu un truand, et il est en cavale. Pierre, malgré lui, est avalé par la spirale de la violence. Il doit fuir, protéger sa gamine de 11 ans et affronter des tueurs. L'écrivain devient l'un des personnages de ses romans : il bascule du côté de la sauvagerie. L'histoire, sur un rythme d'enfer, malmène le narrateur et le rend attendrissant. C'est tout le talent de quelques-uns de nos meilleurs écrivains de romans noirs : Frégni, comme Jean-Claude Izzo ou Thierry Jonquet, excelle à semer le doute, à brouiller la frontière entre l'ordre et le désordre, le bien et le mal. Pierre est un gars sympathique, un père soucieux. Un type normal...

René Frégni descend dans les bas-fonds et nous donne à lire son âme. Fin connaisseur du « milieu » (il anime depuis de longues années des ateliers d'écriture à la prison des Baumettes) et sans doute fasciné par la force et la fragilité des truands, il gratte la moindre faille, à la recherche d'une raison de croire encore à l'homme. Il vient de la trouver. En signant Lettre à mes tueurs, cette oeuvre noire et éclatante, comme écrite dans une urgence diabolique, il confirme ce qu'il est : un vrai écrivain. Et pas un personnage de roman, comme ce Pierre, seul devant sa page blanche et ses tueurs...

Martine Laval