DEON MEYER - le pic du diable
Un flic brutal, un soldat formé par le KGB: Deon Meyer brouille les pistes et signe un thriller passionnant.
Deon Meyer vit en Afrique du Sud, à quelques kilomètres du Cap. Il avait 37 ans à la fin de l'apartheid, en 1994, et sait que rien n'est totalement apaisé car les blessures saignent encore. Afrikaner, antiraciste, il rêve de réconciliation, mais il faudra sans doute attendre une prochaine génération avant de parler d'avenir commun. Aussi écrit-il des histoires où l'ombre domine la lumière, où les héros sont capables de tuer sans ciller. Il aime créer des personnages détruits par la vie, des hommes trapus au cœur généreux. Dans ses histoires, les flics sombrent dans l'alcool et la dépression après la mort de leur collègue ou de leur femme.
Le pic du diable, son nouveau roman, reprend cet archétype avec l'inspecteur Benny Griessel, un homme usé par le travail, ivre au point d'agresser son épouse devant ses enfants. Deon Meyer ne cache pas qu'il se retrouve dans ses personnages et que l'écriture lui a permis d'apprivoiser ses peurs. Mais il n'est pas homme à faire sa psychanalyse à l'arrache. Laconique, il lâche quelques détails de sa vie sans s'attarder. Oui, il continue de parcourir le pays en moto puisqu'il est consultant pour BMW. C'est d'ailleurs sur une BMW R 1150 GS qu'un de ses personnages disparaît dans la nature à la fin de son dernier polar, le quatrième traduit en français. On y retrouve le héros de son précédent livre, L'âme du chasseur: Thobela Mpayipheli, un soldat formé par le KGB, habitué à tuer sur ordre. Ce Noir de presque deux mètres a décidé de raccrocher pour s'occuper de son fils adoptif, Pakamile, un enfant de huit ans dont la mère a été assassinée. Avec lui, Thobela pense trouver une raison de mener une existence normale. Mais Pakamile est tué par une balle perdue et les assassins parviennent à s'enfuir du tribunal. Alors, Thobela décide de redevenir un guerrier et de faire justice lui-même, armé d'une longue sagaie, une «assagaie». «En fait, c'est l'éditeur anglais qui souhaitait un second livre avec le même personnage, explique l'écrivain. Un homme comme Thobela a forcément un côté sombre, il suffit de certaines circonstances pour que tout s'embrase.»
Ce personnage est à l'image de l'Afrique du Sud que l'on croit apaisée et qui n'a pas fini de voir réapparaître ses vieux démons. Pour ne pas se laisser enfermer dans ce personnage récurrent, Deon Meyer a joué sur la chronologie des faits et sur les voix croisées qui racontent trois histoires destinées à se réunir en fin de parcours. Outre le soldat armé face à un flic attaché à la loi et à l'ordre, le romancier développe un troisième personnage, celui de Christine, une prostituée qui vient se confesser à un pasteur. Le romancier joue sur les clichés pour mieux les dynamiter. Christine a un parcours presque classique avec sa fascination pour l'argent, la prison dorée offerte par son mac et son désir de s'échapper, mais elle est aussi une mère qui veut se battre pour sa fille et l'arracher à un monde sans issue. Le cœur du sujet est dans cette relation parent-enfant que l'auteur a voulu décrire à travers ses trois héros. Il pose aussi la question de l'autodéfense et n'hésite pas à déranger le lecteur en mettant cartes sur table. Thobela est-il un monstre qui se prend pour saint Michel terrassant le démon? La lecture du livre ne donne pas de réponse, mais elle montre bien que Deon Meyer n'est pas un auteur de thrillers sans arrière-pensée. Père de quatre enfants, il s'interroge sans accuser ni donner de mode d'emploi. Il veut décrire le moment où l'homme passe de l'autre côté du miroir: Benny, qui représente l'ordre, devient celui qui lève la main sur son enfant, et Thobela, à la chasse aux bourreaux, se croit au-dessus des lois. Et puis, il y a cette Afrique du Sud, les parfums de ces terres désertiques, les quartiers en reconstruction, les plantations luxuriantes, les iguanes et les antilopes du côté du Kat River. «Dans ce livre, je me suis plus attaché aux personnages et à la psychologie qu'aux décors, précise Deon Meyer. Dans le suivant, je reviendrai à cette terre d'Afrique plus sauvage.»
Un pays qu'il arpente toujours en moto même si le temps lui manque. «Entre la famille, le travail, les livres et les scénarios, je dois choisir.» Car le cinéma s'intéresse de près à ses livres. L'âme du chasseur vient d'être achetée par une major américaine et Jusqu'au dernier a retenu l'attention des Anglais. Mais quel acteur pourra interpréter Thobela, le géant noir à la voix grave? La question est encore sans réponse.
Christine Ferniot.