ROBERT DALEY- L'ennemi de Dieu


Quatre garçons dans le bain.

Plongée dans New-York des 50's aux 80's, après le «suicide» d'un curé pas très catholique.

Robert Daley est un Américain élégant qui a écrit de bons romans dont certains ont inspiré de bons films. Passons sur Grand Prix dont l'adaptation par John Frankenheimer peut être condamnée mais avec circonstances atténuantes («De mon livre n'ont été conservées que quelques répliques qu'Yves Montand a massacrées en anglais», confia un jour Daley). Retenons plutôt le Prince de New York dont l'adaptation par Sidney Lumet a gardé le caractère de constat impitoyable sur la corruption policière (1). Ou l'Année du Dragon, drame épique qui, au cinéma, fut hanté par un excellent Mickey Rourke et dirigé avec superbe par Michael Cimino. Il sera plus difficile à l'Ennemi de Dieu de devenir un film tant est ample ce roman qui brasse trente-cinq ans de l'histoire des Etats-Unis et de la vie de quatre fils de Manhattan d'origine irlandaise, quatre membres de l'équipe de natation du lycée catholique de Fordham des années 50.
En forme de flash-back, l'Ennemi de Dieu commence en 1988, la dernière année de la présidence de Ronald Reagan. Gabe Driscoll, qui fut le dossiste de Fordham Prep, est devenu un patron de la police des polices de New York grassouillet mais incorruptible. Ce jour-là, plus funeste que d'autres, il fait un tour 520 Première Avenue, à la morgue municipale, pour y reconnaître le cadavre de son copain d'enfance, le père Frank Redmond. Celui qui, trente-cinq ans plus tôt, était un champion du 200 mètres nage libre et un exemple est tombé d'un toit de Spanish Harlem. Le policier atterré s'interroge. Pourquoi Frank, prêtre de 53 ans en forme parfaite, se serait-il suicidé comme l'indique l'enquête officielle et sommaire menée par le commissariat de la 32e circonscription ? Un commissariat que Gabe dirigea quelques années plus tôt.
Avec l'aide de son copain Andy Troy, un journaliste connu qui était le sprinter de leur équipe d'adolescents, il lance sa propre enquête. Et essaie de ressusciter le passé. D'abord le leur. La vie du flic intègre qui a connu des difficultés de carrière avant de rejoindre le service dont il est maintenant le patron, cette police des polices qui ne le rend pas populaire auprès de ses collègues, est en train de virer à la solitude. L'existence du reporter talentueux qui a sacrifié sa vie privée, l'amour de sa femme Maureen, à sa carrière brillante, n'a pas des tons plus gais. Enfin le destin d'Earl, le troisième mousquetaire, le roi du plongeon, l'athlète aux jambes arquées, devenu assistant du procureur et combattant donquichottesque contre la Mafia, a tourné court. Il est mort assassiné.
De tous ces souvenirs souvent amers, les deux amis auront beau faire le tour, l'énigme Frank restera entière jusque vers la fin du roman. Quel est le secret de ce fils de brasseur, de ce champion de natation qui un jour entra au séminaire ? Qui est vraiment cet ecclésiastique de choc qu'Andy croisa sur le front, aux alentours de Danang au Vietnam, avant de le retrouver au coeur d'une Afrique ravagée par des maladies terribles ? Qui est ce vicaire peu estimé par ses supérieurs que Gabe retrouva dans les bas-fonds de Harlem en guerre contre des trafiquants ? Andy et Gabe cherchent une vengeance dont aurait pu être victime leur ami. Oui, mais vengeance de qui ? Et pourquoi ? En parallèle, Daley déroule la véritable histoire du père Redmond. Pas vraiment catholique, puisque c'est avant tout une histoire d'amour avec Roxanne Purley, dite Rocky, une presbytérienne qu'il a connue quand il était tout jeune homme. Et alors ? Disons qu'avec sa simplicité habituelle, Daley a réussi à mêler l'évocation du New York des années 50, plein de promesses et de contradictions, avec le cauchemar du Vietnam, les souvenirs de la lutte contre la corruption des années 70 et ceux de la désillusion des années 80. Qu'il a tissé ces fils avec la trame d'une splendide mais noire aventure sentimentale. Tout cela donne au final une version tendre de l'Ecclésiaste, qui était à sa manière un ennemi de Dieu, du moins du dieu de consolation. Vanité des vanités ; tout est vanité !


(1) Et aventure vraie dont le héros fut un autre auteur de polars, l'excellent Bob Leuci, alors flic de base.

Edouard WAINTROP