JEAN-FRANCOIS PAROT- L'enigme des blancs-manteaux


1. L'énigme des Blancs-Manteaux 2. L'homme au ventre de plomb 3. Le fantôme de la rue Royale 4. L'affaire Nicolas Le Floch

La présente critique ne s'appuie que sur la lecture des deux premiers épisodes de la série.


L'histoire

Quel veinard, quand même ce Nicolas Le Floch! Adopté par le bon chanoine Le Floch à Guérande, parrainé par le marquis de Ranreuil, le brave jeune homme se retrouve soudainement à Paris... au service de M. de Sartine, lieutenant général de police de sa Majesté Louis XV. Hormis ses bonnes manières, son éducation honorable et sa figure avenante, rien ne semblait prédisposer Nicolas à un tel emploi. Ni à une ascension aussi fulgurante. Pensez donc : parvenir, au XVIIIe siècle, à gravir les échelons de la société à l'aide de ses seules qualités, sans moyen ni particule, voilà qui n'est pas un mince exploit.
Il faut donc qu'il soit doté de quelque don remarquable, car la chance seule n'explique pas tout. Et bien voilà, c'est tout simple: Nicolas se révèle pourvu d'un estimable sens de la déduction, de l'observation et de l'intuition. Cela, ajouté à ses autres qualités, le désigne tout naturellement à conduire les enquêtes criminelles les plus délicates au service de la justice, mais au-delà, au service de M. de Sartine, et ce faisant, du Roi, à qui l'on ne saurait déplaire.
Ainsi, est-ce donc lui que l'on charge de retrouver le commissaire Lardin, figure de la police parisienne, mystérieusement disparu alors qu'il détient des informations capitales aux yeux de Louis XV et de Mme de Pompadour. Ainsi est-ce encore à lui que l'on fait appel lorsqu'un fils de grande famille ayant place auprès de Mme Adélaïde, fille du Roi, est retrouvé mort dans ses appartements.
L'époque est propice aux intrigues de cour et de basse-cour. Dans ses entrailles, Paris renferme bien des vices... Mais, en dépit de son jeune âge, Nicolas Le Floch, en bon breton obstiné, aidé de l'inspecteur Bourdeau et d'une poignée d'amis précieux, se fait fort de résoudre les crimes les plus odieux et les machinations les plus retorses, cela avec tact et diligence, humanisme et bon sens. La couronne a trouvé en sa personne le serviteur idéal: fidèle, compétent et déférent. Dès lors, malandrins et comploteurs de Paris n'ont qu'à bien se tenir!

La critique

Si le XVIIIe siècle vous indiffère ou vous insupporte, inutile de vous conseiller Les enquêtes de Nicolas Le Floch, qui valent plus par l'attrait de leur reconstitution historique que par la complexité des intrigues criminelles. Non pas que ces dernières soient dénuées d'intérêt, mais leur facture est somme toute classique, et leur principale force réside justement dans l'époque qui les abrite. La grande réussite de Jean-François Parot est donc d'avoir réussi à rendre palpables ces investigations policières au Siècle des Lumières, avec un luxe de détails et un souci constant de l'exactitude qui forcent le respect.
Avouons-le: qui est aujourd'hui capable d'imaginer le travail quotidien d'un enquêteur du Châtelet? Les moyens dont il dispose, les difficultés qu'il rencontre, les procédures qu'il doit respecter, les convenances auxquels il doit se soumettre? Si l'on se doute bien que sa tâche n'a plus grand chose à voir avec notre police actuelle, difficile pour autant de s'en faire une idée précise. Jean-François Parot profite de cette ignorance générale pour mettre les bouchées doubles, quitte à heurter parfois les barrières de la vraisemblance: son héros, Nicolas Le Floch, connaît une ascension sociale fulgurante, suspecte du point de vue des probabilités, qui lui permet de côtoyer aisément aussi bien Versailles que les tavernes des bas quartiers. Sur un plan plus personnel, il est doté d'un esprit en avance sur son temps; humaniste, il fait usage d'un sens critique affûté et défend une haute idée de la justice, qualités qui ne devaient quand même pas être les mieux partagées par ses authentiques confrères. Mais après tout, pourquoi pas, du moment que le propos n'est pas d'en faire un "super-héros" mais de permettre à l'intrigue d'évoluer à travers toutes les strates d'une société bien cloisonnée, de la base au sommet, en usant pour cela d'arguments plausibles. Et de nous confronter également à certaines difficultés inhérentes à l'époque. Voilà pourquoi Nicolas, déjà convaincu que l'examen clinique d'un corps est une source primordiale de renseignements, tient Sanson, bourreau de Paris, comme le meilleur spécialiste de médecine légale qui soit. Voilà pourquoi notre limier précurseur s'acharne à collecter les preuves et les aveux en se méfiant des apparences souvent trompeuses, et répugne à recourir à la question, option communément usitée et admise par ses collègues contemporains.
Mais répétons-le, les libertés prises avec les mentalités de l'époque servent avant tout de prétexte à une exploration approfondie de la fin de l'ancien régime (la Révolution, c'est pour bientôt). Et sur le sujet, Jean-François est incollable, de la tenue vestimentaire au vocabulaire, des contraintes de l'étiquette aux habitudes culinaires (je soupçonne d'ailleurs l'auteur d'être un fieffé gourmand). L'écriture épouse les contours de l'époque, sans pâtir d'une trop grande préciosité, conférant aux romans un certain charme que d'aucuns trouveront sans doute désuet. Mais encore une fois, mieux vaut être attiré par l'atmosphère du XVIIIe siècle pour apprécier cette série policière à sa juste valeur.
La galerie toujours plus vaste proposée par la collection "Grands détectives" de 10/18 peut accueillir Nicolas Le Floch les bras ouverts, qui viendra occuper l'une des dernières places vacantes dans le genre du roman policier historique. Qui le premier osera proposer un Rahan détective?