ARNALDUR INDRIDASON - la voix
Pauvre Père Noël ! Il aura décidément payé un lourd tribut à la littérature policière. Pierre Véry, déjà, l'avait assassiné dans un roman célèbre. C'est à présent l'auteur islandais Arnaldur Indridason qui s'en prend à cette icône de l'imaginaire enfantin.
Dans un grand hôtel de Reykjavik, au moment où les préparatifs de Noël vont bon train, on retrouve le Père Noël assassiné d'un coup de couteau en plein coeur. Gudlaugur, que tout le monde surnomme Gulli, était un père tranquille, un quinquagénaire solitaire qui faisait fonction de portier et en réalité de factotum dans l'hôtel. On ne lui connaissait pas de famille, pas de relations, aucun problème. C'est sans doute pourquoi la direction l'avait autorisé à habiter une sorte de cagibi dans les sous-sols de l'établissement. C'est là qu'on le retrouve mort dans son costume de Père Noël. Fâcheuse publicité pour la maison, qui s'en serait bien passé en période de fêtes, d'autant plus que la victime avait le pantalon baissé et un préservatif baveux pendouillant sur son membre.
UNE TRISTESSE POIGNANTE.
Il paraît que la police scientifique est capable, en mesurant le taux d'hydrocortisone dans la salive, de déterminer précisément le degré de stress d'un individu à un moment donné et, en l'occurrence, de savoir si la personne qui accordait une gâterie au Père Noël s'exécutait de bon coeur ou sous la contrainte. Le commissaire Erlandur va donc enquêter sur les réseaux de prostitution - aidé en cela par les relations de sa propre fille, avec qui les rapports sont toujours aussi houleux - et sur le passé du Père Noël.
Gulli fut autrefois un enfant prodige, un garçonnet à la voix d'or à qui son père imposa un véritable esclavage pour faire de lui une vedette internationale. Avec un certain succès, puisque le gamin enregistra deux 45-tours. Mais, au cours du concert qui devait consacrer sa gloire, sa voix mua. Sa carrière était brisée, ses relations familiales aussi. Pourtant, quarante ans plus tard, des collectionneurs sont encore prêts à tout pour se procurer ses disques, en particulier un Anglais étrange qui se passionne pour la voix cristalline des petits garçons - et pas seulement la voix...
Les enquêtes du commissaire Erlandur sont toujours surprenantes, mêlant une intrigue solide et captivante à une atmosphère de déréliction sous le ciel bas de Reykjavik. La Voix est un roman sur la solitude, celle d'un gamin trop doué à qui on a volé son enfance, celle du policier qui, sous le prétexte de son enquête, préfère passer les fêtes dans une chambre d'hôtel mal chauffée plutôt que d'affronter un foyer déserté. C'est par moments d'une tristesse poignante, et cela vous ôte à tout jamais l'envie de croire au Père Noël.
Gérard Meudal.