MICHAEL CRICHTON - la proie
«Avec les nanotechnologies, des débordements sont inévitables»
La mise en garde de Michael Crichton, auteur du premier livre de nano-science-fiction.
Pourquoi
un livre sur les nanotechnologies?
En fait, je souhaitais écrire une histoire où un chercheur, animé
de bonnes intentions, met au monde une créature qu'il n'arrive plus à
contrôler. Une version moderne de Frankenstein, en somme. Et puis, j'ai
entendu dire que dans la Silicon Valley, se tramait toute une activité
autour de l'infiniment petit et que les industriels l'estimaient très
prometteuse. Enfin, c'est une conversation avec un Français, Eric Bonabeau,
un créateur d'entreprise installé près de New York que
j'ai rencontré lors d'une conférence, qui m'a définitivement
décidé. Bonabeau est un des spécialistes de la swarm intelligence
[intelligence de l'essaim], une discipline qui parie que les petits organismes
du futur auront la capacité de créer ensemble une intelligence
collective, à la manière des fourmis aujourd'hui. Ce concept,
très à la mode aux Etats-Unis, m'a définitivement convaincu
que c'est l'infiniment petit qui nous réserverait le plus de surprises
dans les années à venir.
Beaucoup de financiers de la Silicon Valley vous reprochent de diaboliser
les nanotechnologies. Sont-elles réellement dangereuses?
Il faut bien se rendre compte qu'avec la nanoscience, qui permet la manipulation
et l'assemblage d'atomes, l'homme devient créateur de matière.
Et, chaque fois que cela est le cas, nous devons nous poser des questions. J'ai
conscience d'avoir, pour ma fiction, choisi un scénario catastrophe.
Mais d'autres aux Etats-Unis vont plus loin. Comme Bill Joy, un chercheur américain
très en vue, qui prédit carrément la transformation de
l'Univers en grey goo, une masse de «gelée grise» composée
d'amoncellements de milliards de minirobots... En fait, personne ne sait ce
qui se passera vraiment. Je considère que mon rôle consiste à
sensibiliser le grand public sur de possibles problèmes à venir,
rien de plus. Le véritable pouvoir est entre les mains des chercheurs
et de leurs financiers.
Vous semble-t-il alors légitime de créer une institution ou
des lois pour contrôler leurs travaux?
Peut-être, mais je ne crois malheureusement pas que cela soit très
pertinent. Je me souviens avoir eu ce genre de discussions à la sortie
de mon livre Jurassic Park, quand beaucoup me demandaient s'il fallait légiférer
sur des dangers futurs liés à la manipulation des gènes.
Des lois existent, bien sûr, mais le savoir se diffuse aujourd'hui à
une telle vitesse que des débordements sont, à mon sens, inévitables.
Le grand public doit en être conscient.
Guillaume Grallet.