MAXIME CHATTAM - l'âme du mal


A 26 ans, ce jeune auteur a déjà touché à presque tous les genres littéraires avant de trouver le cadre dans lequel exercer sa rage d'écrire : un roman policier mêlant considérations occultes et scientifiques. Premier volet d'une trilogie pour le moins prometteuse.

C'est sur le plateau d'Angélique Marquise des anges, monté au théâtre en 1995 par Robert Hossein, que Maxime Chattam a attiré l'attention par son étrange comportement.

Pierre Hatet, qui s'y occupait de post-synchronisation, a été intrigué par ce jeune homme qui ne cessait de griffonner frénétiquement dans ses carnets entre deux figurations. Il a voulu le lire et, intéressé, lui a suggéré d'écrire une pièce de théâtre, cela a donné Le Mal : la rencontre dans le jardin du Luxembourg après les attentats du RER Saint-Michel en 1995 d'un jeune homme désabusé et d'un quinquagénaire philosophe. La pièce n'a jamais été jouée ni lue par qui que ce soit, pas même par celui qui en avait suggéré l'écriture, elle prend la poussière parmi les nombreuses esquisses inachevées de cet auteur précoce et prolixe. A 26 ans, Maxime Chattam a déjà touché à peu près à tous les genres littéraires avant de se consacrer sérieusement à un étonnant thriller.
Né à Herblay en 1976, il y cultive ses premières frayeurs en explorant les champignonnières du Val- d'Oise. A 12 ans, il dévore Le Seigneur des anneaux puis de nombreux romans de science fiction, au grand dam de sa mère qui lui a communiqué le goût de la lecture mais aimerait qu'il en ait de plus sérieuses. S'il découvre Céline au lycée il doit aussi s'y ennuyer passablement puisque, en cachette, pendant les cours, il s'y adonne à l'écriture. "A 14 ans j'avais vu Stand By Me, j'ai eu envie de réécrire le film à ma manière. J'en ai fait une nouvelle. Puis j'ai écrit sur le Moyen Age. J'écrivais pour me faire plaisir et puis petit à petit j'ai cherché à écrire des histoires qui puissent aussi plaire aux autres."
Après des études de lettres et le cours Simon, il débute une carrière de comédien, joue dans quelques téléfilms avec Line Renaud, fait un peu de figuration mais comprend rapidement que ce n'est pas sa voie. Il écrit alors Le Coma des mortels, l'histoire d'un comédien qui se met à voir la vie autrement après avoir reçu le décor sur la tête et découvre que "la vie n'est qu'un flash de conscience dans l'éternité", et accessoirement que l'accident qui l'a plongé dans le coma était une tentative de meurtre. Suit un roman fantastique situé aux Etats-Unis qui pas plus que les autres ne sera soumis à un éditeur. Pourtant, petit à petit, Maxime Chattam a trouvé le cadre dans lequel exercer sa rage d'écrire : un roman policier à l'atmosphère résolument gothique qui mélangerait une dimension occulte à des considérations scientifiques rigoureuses et qui se passerait, bien entendu, aux Etats-Unis.
Ce goût pour la culture américaine, qui explique le pseudonyme qu'il s'est choisi, n'est pas le résultat d'une fascination adolescente pour le cinéma américain mais s'explique aussi par des circonstances familiales. Une partie de la famille est américaine et Maxime, dès l'âge de 11 ans, fait de fréquents séjours aux Etats-Unis, à New York, Denver et surtout Portland, dans l'Oregon, qui devient le cadre de l'Ame du mal.
Maxime Chattam ne prétend pas, selon sa propre expression, "faire de la littérature avec un grand L" mais le sérieux avec lequel il s'attelle à son premier vrai projet n'en est pas moins impressionnant.. Parmi les nombreux petits boulots qu'il exerce sporadiquement, il choisit celui de libraire à la Fnac pour se rapprocher de l'objet de sa passion et entreprend des études de criminologie. A 23 ans cela ne fait pas très sérieux d'aller frapper à la porte du laboratoire de la police scientifique, surtout quand on n'a pas la formation de base requise, mais Maxime Chattam déniche à Saint-Denis des cours de criminologie sur les sciences "forensiques" c'est-à-dire qui relèvent de l'expertise médico-légale et obtient même l'autorisation de participer aux travaux pratiques comme les autopsies.
Le résultat c'est un pavé de plus de 500 pages où l'enquête sur un tueur en série diabolique de la région de Portland s'appuie sur les techniques les plus sophistiquées de la médecine scientifique. Maxime Chattam n'ignore rien des découvertes les plus récentes en la matière et en fait généreusement bénéficier son lecteur. Le style, même et surtout quand il se veut soigné, contient pas mal d'approximations mais incontestablement la machine fonctionne bien et l'auteur respecte scrupuleusement le cahier des charges qu'il s'est fixé : un rythme dynamique, des personnages attachants, des rebondissements incessants. L'aspect gothique du roman (le tueur hanté par la recherche de pratiques occultes assurant l'immortalité adresse aux policiers des messages cryptés qui ne sont autres que des strophes de l'Enfer de Dante) n'incite pas l'auteur à la facilité des causes surnaturelles. Tout finit par s'expliquer de la manière la plus rationnelle qui soit, y compris l'incompréhensible survie d'un tueur qui a été abattu par la police et qui pourtant recommence un an plus tard à sévir comme l'attestent sans aucun doute possible une certaine signature criminelle et des traces d'ADN. Mais le plus réussi c'est sans doute le couple constitué par le héros, Joshua Brolin, ex profiler du FBI, relégué dans l'Oregon, où il a un peu de mal à s'intégrer à la police locale, et Juliette, étudiante en psychologie, sauvée in extremis des griffes du tueur et qui voudrait bien en aidant Joshua lui faire comprendre qu'elle éprouve pour lui un peu plus que de la reconnaissance et qu'ils pourraient peut-être unir leurs deux solitudes. Au-delà de la mécanique bien rôdée du suspense, Maxime Chattam soigne particulièrement l'atmosphère et le décor. Dans son appartement de Poissy, son bureau est rempli de photos de repérages, de tableaux très fouillés étudiant la psychologie des personnages, leurs déplacements dans le moindre détail. Entre deux balades en forêt à la recherche d'inspiration, cet ovni qui prétend tout ignorer de la tradition française du polar, travaille d'arrache-pied. Car ce n'est pas le moindre de ses mérites que d'avoir convaincu son éditeur de lui fournir des avances suffisantes pour qu'il puisse vivre de sa plume et se consacrer à plein temps aux deux romans qui devraient avec L'Ame du mal constituer une trilogie prometteuse.

Gérard Meudal