DOMINIQUE SYLVAIN - la fille du samouraï


Il y a trois sortes de femmes, les emmerdeuses, les emmerdantes et les emmerderesses. Il est un peu surprenant de découvrir que l'auteur de cette réflexion n'est autre que Paul Valéry, aussi surprenant que de l'entendre citer par un ex-commissaire de police.

Il faut dire que Lola Jost était professeur de français avant d'entrer dans la police et qu'elle ne manque jamais une occasion de placer à propos quelques vers d'Apollinaire ou de Corneille, ou de rectifier les écarts de langage de son amie américaine Ingrid Diesel, qui jure en anglais comme un charretier et emploie parfois la langue française de manière approximative. Ainsi les romans de Dominique Sylvain reposent-ils sur un équilibre entre une bonne dose de pittoresque et un travail constant sur la langue.

Ingrid et Lola, tel est le tandem de choc qui mène l'enquête dans La Fille du samouraï. Ingrid est masseuse dans la journée et strip-teaseuse dans un cabaret de Pigalle la nuit ; Lola, l'ex-flic revenue de tout, est fâchée avec son successeur, qui ne partage pas sa conception du métier.

D'un côté, un ancrage dans un quartier parisien, le passage Brady, et un restaurant qui sert de lieu de ralliement à toute une tribu qui n'est pas sans rappeler les Malaussène des premiers romans de Daniel Pennac ; de l'autre, des héroïnes qui travaillent en duo pour donner une importance particulière aux dialogues.

Quand elle était petite, Dominique Sylvain se souvient d'avoir été gardée par une arrière-grand-mère pur produit de l'école laïque et obligatoire de Jules Ferry. La vieille dame lui apprenait des fables et des poèmes, lui inculquant le goût de la langue et de sa cadence, ce qui n'est pas si fréquent dans le genre policier. C'est par hasard qu'elle est venue au roman.

D'abord journaliste indépendante, elle travaille pendant huit ans à la direction de la communication du groupe Usinor, ce qui lui permet de découvrir le monde industriel mais aussi d'assister à l'effondrement de la sidérurgie lorraine. Quand son mari est nommé au Japon, elle part s'installer à Tokyo, où elle occupe ses loisirs à l'écriture de romans policiers. Les premiers mettaient en scène le personnage de Louise Morvan, détective privé qui a cédé la place, avec Passage du désir (éd. Viviane Hamy, 2004), au duo des "emmerderesses", Ingrid et Lola.

DU PORTO ET DES PUZZLES

La constante de tous ces romans est une attention minutieuse aux évolutions de la société. C'est, bien sûr, un des objectifs que se fixe généralement le roman policier que de pointer les maladies du corps social. Mais, dans le cas de Dominique Sylvain, le fait de vivre au Japon lui donne un recul et des points de comparaison qui enrichissent singulièrement son analyse.

"Les choses ont commencé à se dégrader avec le choc pétrolier de 1975. On avait connu les 'trente glorieuses', puis les 'trente piteuses', et maintenant comment va-t-on appeler ce qui nous attend ? Les 'trente désespérantes' ?" Le diagnostic est sévère, mais le résultat n'est pas déprimant. Les personnages de Dominique Sylvain sont vivants et sensuels, et même si Lola éprouve pour le porto et les puzzles un penchant qui frise le syndrome maniaco-dépressif, le ton reste toujours plus proche de ces comédies britanniques qui, comme The Full Monty, traitent avec humour de sujets graves. Disons, pour rester dans le domaine policier, que Dominique Sylvain serait plutôt du côté de Pepe Carvalho que de Kurt Wallander, même si elle porte une égale admiration à Henning Mankell et à Manuel Vazquez Montalban.

La Fille du samouraï met en scène une jeune fille, Alice, qui gagne sa vie en jouant les doublures de Britney Spears (elle a une copine qui joue Madonna). Elle se produit dans les galas, les anniversaires privés, etc. Un jour, elle se trouve à Paris, dans un grand hôtel de la porte Maillot, où l'attendent, dans sa chambre, un bain moussant et du champagne au frais. Mais, au lieu de profiter de l'accueil et de se préparer à son numéro, Alice se jette par la fenêtre. Le suicide ne fait aucun doute, puisqu'elle était seule dans la chambre. Pourtant, certains détails surprennent. Un cameraman a filmé sa chute et a vendu à la télévision ce reportage, que l'on va même retrouver en boucle sur Internet.

Cette fable d'Alice passée de l'autre côté du miroir fournit à Dominique Sylvain l'occasion d'une réflexion subtile sur la place de l'image dans notre société, son utilisation politique ¬ - par exemple dans le cadre d'un chantage ¬-, mais aussi toutes les formes de manipulation et le goût morbide de nos contemporains pour la télé-réalité.

La Fille du samouraï est aussi une sorte de roman d'initiation. Puisque les deux héroïnes finissent par se retrouver à Tokyo, enfin apaisées, à barboter dans un bain chaud après une enquête particulièrement complexe qui, souvenons-nous, avait commencé à Paris autour d'un bain moussant. Faut-il y voir une invitation à rechercher la sérénité du côté de la sagesse orientale ?


Gérard Meudal
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