CLAUDE IZNER - la disparue du Père-Lachaise


Claude Izner, qui est le pseudonyme de deux sœurs, bouquinistes sur les quais à Paris, invente un personnage nouveau, libraire et bouquiniste de son état, évoluant dans le Paris de la fin du XIXème siècle. Eté 1889. Victor Legris, qui officie rue des Saints-Pères en compagnie de Kenji Mori, son associé, ami et tuteur, et Joseph, l’apprenti débrouillard, est attiré comme bon nombre de curieux par cette charpente métallique érigée place du Champs de Mars au milieu de l’exposition universelle qui rend un singulier hommage aux conquêtes coloniales françaises et à l’évolution de l’homme depuis des milliers de siècles. Alors que Marius Bonnet, qui vient de créer un nouveau journal, le Passe-partout, lui propose de rédiger des articles littéraires, une femme décède, victime semble-t-il d’une piqûre d’abeille. D’autres cas similaires succèdent et l’hypothèse de l’abeille tueuse est peu à peu écartée du cerveau de notre libraire qui se sent une âme de détective, émule du monsieur Lecoq de Gaboriau, lequel fait les choux gras des midinettes et déjà les heures délicieuses de bourgeoises qui n’osent avouer leur intérêt pour ce nouveau genre littéraire. Victor Legris a pour maîtresse Odette de Valois, dont le mari participe à la construction du canal de Panama. Mais il ressent un faible envers Tasha, réfugiée russe et caricaturiste au Passe-partout et peintre en devenir selon certains. Comme notre détective amateur s’aperçoit qu’à chaque fois qu’un meurtre est perpétré Kenji et Tasha ne sont guère loin, les soupçons naissent dans son esprit.

Dans le second roman Victor apprend par Denise, la petite bonne de Odette de Valois, que sa maîtresse a disparu dans le cimetière du Père-Lachaise alors qu’elle se recueillait sur la stèle de son mari, décédé d’une fièvre maligne lors de la construction du fameux canal de Panama. Une réalisation grandiose qui a laissé sur la paille bonne nombre de petits actionnaires qui avaient placé dans cette entreprise toutes leurs économies. Odette était devenue adepte du spiritisme, une science en vogue à l’époque. Victor est d’abord sceptique mais peu à peu il se prend au jeu et le voilà lancé dans une nouvelle aventure qui le conduira dans les quartiers miséreux de la capitale.

Ces deux romans empruntent beaucoup aux feuilletons du XIXème siècle, mais ils possèdent également le charme de la reconstitution d’une époque et d’une ville en pleine mutation. Le modernisme dans la construction du suppositoire comme avait été surnommée la Tour Eiffel, l’urbanisme des grandes artères qui côtoie les quartiers miséreux, les arts et lettres qui évoluent avec l’apparition des nouvelles écoles picturales et la littérature policière, l’atmosphère de l’exposition universelle qui permet aux Parisiens, la plupart jamais sortis de leur quartier de découvrir d’autres civilisations, et bien d’autres évocations encore comme le train de William Cody, alias Buffalo Bill, et ses Peaux-Rouges. Une lecture enrichissante et distrayante, avec des enquêtes mystérieuses à souhait. Un nouvel auteur bicéphale à suivre.

Paul Maugendre