AKE EDWARDSON - je voudrais que cela ne finisse jamais


Göteborg, l’été, c’est l’enfer. La canicule fait rage et les habitants délaissent la ville - du moins les plus riches d’entre eux, qui partent sur le continent et fuient la Scandinavie. Pour Erik Winter, commissaire de police, cela signifie aussi que les témoins d’un meurtre seront moins nombreux. Même si l’on ne peut qu’accorder un crédit modéré aux témoignages - bien souvent, un homme jugé de taille moyenne se révèle, une fois arrêté, mesurer près d’1 m 90 -, ils sont toujours les bienvenus. Le corps d’une jeune fille violée dans un parc lui rappelle un cas similaire, cinq ans plus tôt, au même endroit et suivant le même modus operandi.

Il faut revenir en arrière, remuer de vieux souvenirs et recontacter des parents qui n’ont toujours pas, cinq ans plus tard, fait leur deuil. Et puis essayer de mettre fin aux agissements de celui qui est, de toute évidence, un déséquilibré mental. Alors quand une jeune fille réussit à s’échapper des griffes du dangereux personnage, Erik Winter et sa clique mettent en branle la vaste machine policière suédoise. Été ou pas, témoins ou pas, ces trois attaques ont des points communs. Encore faut-il tous les découvrir et pourchasser les non-dits. Les policiers sont d’abord intrigués par deux points de détail. D’abord, les victimes ont toutes un trou d’au moins deux heures dans l’emploi du temps de leurs derniers moments, enfin, ce parc n’était pas un lieu de passage obligé pour rentrer chez elles.

Quand les policiers découvrent des jeux de photos similaires - les victimes devant un horrible mur de brique - une hypothèse semble se dessiner, celle du striptease amateur dans une boîte illégale. À Göteborg, les clubs clandestins ne sont pas tous référencés. Winter va se rencarder auprès de relations plus ou moins douteuses. Dans le même temps, ses coéquipiers essaient de résoudre les incohérences des témoignages, certains qu’on leur cache des choses. Mais quoi ?

Åke Edwardson n’est pas seulement un auteur de romans policiers ni même de romans noirs. Dans Je voudrais que cela ne finisse jamais, il peint la société suédoise en mettant à jour, à l’instar de son alter ego islandais Arnaldur Indridason, de nombreux tabous, quoiqu’avec un peu moins de hargne. Ici, les huis-clos règnent en maîtres : au sein des familles - rien ne sort de leur cercle, surtout ce qui pourrait faire avancer une enquête - et à l’intérieur des castes comme des générations. Les notables ne sont pas tous d’honnêtes gens, certains sont des êtres pervers, sans pour autant tomber dans la caricature ou la généralité. L’argent, bien souvent, est un moyen de mettre sa perversité en œuvre, d’affirmer la bête qui est en soi. Et puis Åke Edwardson traite des maux de l’adolescence, de la drogue, des amours éphémères, des déstabilisations qui découlent de tout ça. Sans oublier le viol, le sentiment de culpabilité, les parents qui ferment les yeux, les amis qui ne voient rien, et surtout l’inconscience de certains devant des actes qu’ils croient ne prêter à aucune conséquence.

L’écriture sobre d’Åke Edwardson a donc des points communs avec celle d’Arnaldur Indridason ; l’un et l’autre, tout en donnant à leurs récits une touche typiquement scandinave, plutôt nordique, d’ailleurs, empruntent leur savoir-faire - ce n’est pas une aberration de le dire - aux romans noirs de Georges Simenon. On sent la même veine dans la façon de décortiquer le récit, d’avancer dans l’investigation avec un enquêteur principal et des seconds couteaux sur lesquels il peut compter. Erik Winter prend bien le temps de ne pas commettre d’erreurs, de comprendre la bête qu’il traque, même si, pour ça, il doit y avoir une victime supplémentaire. Car Erik Winter a l’expérience nécessaire à ce genre d’enquête. Il reste froid et lucide. Il réfléchit longuement, assaille les acteurs du drame, les met aux abois et les pousse au faux pas pour mieux appréhender les coupables. Tout est affaire de psychologie.

Julien Védrenne.