HANNELORE CAYRE - ground xo


Hannelore Cayre est avocate. Elle vient de publier son troisième polar et sa vie est (déjà) un roman.

«Les romans policiers m'ennuient, je n'en lis jamais», dit-elle sans coquetterie, autour d'un café à son domicile parisien. De toute façon, cette grande gigue blonde de 44 ans n'est pas du genre coquette. A peine amène, elle suscite quand même la sympathie par son franc-parler et son côté frondeur. On les retrouve justement dans... ses polars. Eh oui, Hannelore Cayre (c'est son vrai nom) a beau en pincer pour la littérature de la fin du XIXe siècle et du début XXe, «Bloy, Mirbeau, Balzac, Flaubert, Dostoïesvki, Jouhandeau», c'est un polar qui lui a fait gagner ses galons d'écrivain - après un premier roman, «impubliable» à ses dires, intitulé Le sexe des courges (!). Son expérience d'avocate pénaliste l'a emporté: «J'avais envie d'écrire des choses qui n'avaient jamais été dites sur ce milieu, loin des effets de manches et des cours d'assises. Le droit pénal, c'est aussi les dealers, les violeurs. C'est le cousin dont on est très fier mais qui reste imprésentable, qu'on n'invite pas aux réunions de famille». Lasse d'entendre le sempiternel «comment-peut-on-défendre-un-pédophile?», Hannelore Cayre signe donc Commis d'office, paru en 2004. Par la voix gouailleuse et les manières peu orthodoxes de Christophe Leibowitz-Berthier, défenseur des petites frappes de banlieue et des proxénètes d'Europe de l'Est, elle jetait une lumière crue sur la justice côté cour des miracles. Prévenus indéfendables, prisons intenables, magistrats minables: ce roman très noir ruait dans les brancards du système français avec une verve inouïe. Sans tabous, surtout pas celui de l'argent. «On n'en parle pas car celui des truands vient de leurs méfaits. D'où l'adage: il n'y a pas de mauvais clients, il n'y a que de mauvais honoraires.»
En 2005, on retrouvait son irrésistible tocard du barreau dans Toiles de maître et le revoilà aujourd'hui dans une troisième aventure encore plus déjantée, Ground XO: apprenant qu'il vient d'hériter d'une partie des cognacs Berthier, notre avocat - moins marron qu'imbibé - décide d'en faire une boisson à la mode dans les cités en l'associant à la réussite éclair et sulfureuse des rappeurs à gourmette et grosse voiture.
«Christophe Berthier, c'est l'homme qui est en moi», reconnaît Hannelore Cayre, originaire de Louveciennes, fille d'un pied-noir et d'une juive revenue du camp des Mille de Marseille où elle avait été déportée pendant la guerre. Arrivé en France sans rien, son père a monté une entreprise de transports, «spécialisée dans les destinations où personne ne voulait aller: pays de l'Est, Syrie, Iran etc. Ses chauffeurs étaient des repris de justice, ils conduisaient des camions plombés et devaient pisser par la fenêtre». Souvenirs d'arbres de Noël avec «les tronches pas possibles» de ces employés peu ordinaires: «Ça m'a donné le goût de ce milieu, je suis à l'aise dans les extrêmes.»

Le nouveau départ de l'ex- «killeuse»

Il faut dire qu'Hannelore Cayre revient de loin: alors qu'elle voyageait en Patagonie avec son premier mari, un très grave accident de voiture a failli lui coûter la vie. Trois jours dans le coma, recousue au petit point par un médecin chilien; la jeune femme s'est retrouvée tétraplégique pendant un an. Elle s'en est sortie miraculeusement et n'a gardé pour séquelle qu'une légère claudication. Mais il lui a fallu repartir de zéro, se reconstruire - au propre comme au figuré. «Avant, j'étais une "killeuse", au top physiquement et professionnellement.» A savoir une très jolie fille, directrice financière de France 3 Cinéma à 24 ans, après un DEA de droit de la propriété intellectuelle et un DESS de communication audiovisuelle. «Pendant ma convalescence, j'ai compris que la vie humaine ne valait pas grand-chose.» Ce qui ne l'empêchera pas de repartir de plus belle, d'avoir deux enfants et de devenir la collaboratrice de son deuxième mari, avocat pénaliste lui aussi. Leur clientèle ne défraie pas vraiment la chronique: «C'est le bas de l'échelle, surtout des histoires de stups.»
Forte tête, et surtout fondue de septième art, la romancière n'a pas voulu céder les droits cinématographiques de ses livres: c'est elle qui a écrit le scénario et qui va réaliser le film tiré de Commis d'office. Tout juste a-t-elle concédé que Roschdy Zem tienne le rôle de maître Berthier, «car le producteur le voyait mieux en Beur». Ne manquent plus que les autorisations de tournage au Palais de justice de Paris. En attendant, Hannelore Cayre s'est mise au rap. «Les textes des chansons de Ground XO sont de moi», s'enorgueillit-elle. A raison: il déchire, son rap! Mais que fait la police?

Delphine Peras.