MICHAEL CONNELLY - l'envol des anges

Connelly, la vie comme L.A. Tensions raciales, pédophilie, cadavres bizarrement truffés: l'univers du Californien Michael Connelly n'est jamais drôle mais toujours percutant.


Américain, Michael Connelly, qui truste les prix depuis ses débuts en 1992 (les Egouts de Los Angeles), a été véritablement lancé en France par le Poète, en 1997. Cette histoire d'un journaliste qui tente d'élucider la mort de son jumeau, flic officiellement suicidé, développe un canevas très habile, où s'entremêlent l'enquête, les états d'âme du journaliste et les flashbacks sur ce frère auquel il était viscéralement attaché malgré des différences morales et professionnelles. L'efficacité de Connelly s'affirme, qu'on percevait dès les Egouts et la Blonde en béton (où un serial killer grime ses victimes): l'ex-journaliste -au Los Angeles Times notamment, rubrique justice- sait indubitablement construire des histoires, les jalonner de détails qui attestent à la fois un sacré sens de l'observation et une parfaite connaissance des milieux policier et judiciaire. Il les raconte sans chichis, phrases courtes et dialogues abondants; jamais déluré ni drôle, mais toujours percutant - évidemment, la télé et le ciné le courtisent (Clint Eastwood s'apprête à porter Créance de sang à l'écran). Dans l'Envol des anges, où il reprend le personnage de l'inspecteur Hieronymus (Harry) Bosch, présent dans quatre de ses sept précédents opus, Michael Connelly reste fidèle à cette méthode de l'imbrication. L'enquête porte sur un double assassinat au funiculaire de l'Angels Flight, à Los Angeles. Si l'une des victimes, une femme d'origine hispanique, est inconnue, l'homme se révèle être un avocat noir hypermédiatique, spécialisé dans la défense des droits civiques des Afro-Américains. Or Howard Elias, dont le cadavre présente une balle entre les yeux et une dans le cul, s'apprêtait à défendre un certain Michael Harris, multirécidiviste qui accuse quatre inspecteurs du LAPD, la fameuse police de Los Angeles, de l'avoir torturé pour lui faire avouer le viol et le meurtre d'une gamine de 12 ans. Un procès pour le moins sensible, sur lequel pèsent les tensions raciales et la fracture sociale (Harris, employé d'une laverie de voitures, aurait assassiné la petite fille de Jackson Kincaid, richissime concessionnaire de voitures). Entre une police aux abois, minée par les accusations de violence et de corruption, et une opinion publique noire toujours au bord de l'émeute depuis le tabassage filmé de Rodney King, autant dire que Harry Bosch va devoir marcher sur des oufs. D'emblée à triple détente (qui a tué l'avocat? qu'a vraiment fait le LAPD à Harris? Harris a-t-il effectivement tué la gamine?), l'Envol des anges est sans conteste le roman le plus ambitieux et le plus convaincant de Michael Connelly depuis le Poète. Cette fois, malgré un démarrage lent et trop de pinaillage procédurier, pas de faiblesse dans l'intrigue, qui se tient jusqu'au bout (jusqu'à un réseau de pédophilie) contrairement à celles - liées au milieu de jeu de Las Vegas - d'Un cadavre dans la Rolls et de la Lune était noire. Et pas d'impression de redite comme avec le Dernier des coyotes, pas mal troussé mais trop proche dans le fond de Ma part d'ombre d'Ellroy: la quête de vérité de Harry Bosch, dont la mère prostituée a été retrouvée étranglée avec son propre bas, ressemblait plus à un hommage au démiurge de White Jazz qu'à une trouvaille. Dans l'Envol, au contraire, Connelly creuse son propre sillon, affine Bosch, plus que jamais dans la remise en question, le bouillonnement intérieur (Connelly dit l'avoir appelé ainsi en référence au peintre «dont l'ouvre est dominée par les thèmes de la folie du péché et de la mort»). Ce flic aux méthodes de privé, ombrageux voire associal, peu respectueux de la hiérarchie mais pétri du sens de l'honneur, s'inscrit dans la grande tradition des poor lonesome cow-boys urbains façon Marlowe (Raymond Chandler) ou Scudder (Lawrence Block). Héros fondamentalement romantique, au quotidien scabreux mais qui rêverait de «laisser son empreinte grâce à un unique coup de maître», il est de ces personnages hybrides qui laissent à leurs créateurs de belles latitudes. Gageons que Connelly, qui sait aussi faire exister les femmes, saura encore en profiter... Et s'il se laissait aller à un peu d'humour, parfois?

SABRINA CHAMPENOIS