HENRY PORTER - empire state
On croyait le roman d’espionnage disparu à la fin de la guerre froide. Après la chute du mur de Berlin, seul John Le Carré semblait capable de s’ébrouer ailleurs. Le nouvel opus de Henry Porter, Empire State, vient démontrer que le genre n’a pas pris une ride lorsqu’il sait utiliser les crises sociales et politiques actuelles pour en faire son miel. Empire State se situe aujourd’hui, entre Londres, New York et la Bosnie. Autour d’Isis Herrick, agent du MI6, va se développer une histoire complexe et passionnante, un complot islamiste de grande envergure, visant à déboulonner l’Etat américain et à secouer tout le pays, à l’image des tours jumelles. Henry Porter prend le pari de faire avancer quatre aventures parallèles qui ne cessent de se croiser, de s’unir, de s’opposer. D’un côté, Karim Khan, jeune musulman qui cherche à gagner la Grèce par des chemins détournés. De l’autre, son ami Sammi Loz, ostéopathe installé dans l’Empire State à New York, ex-combattant en Afghanistan aux côtés de ses frères musulmans. En face, Isis, jeune femme indépendante, idéaliste et teigneuse, et, juste derrière elle, Robert Harland, personnage récurrent de Henry Porter, homme de l’ombre à la fois idéaliste et revenu de tout. En dépit d’une subtile construction-puzzle, le romancier ne prend jamais ses personnages pour des pions. Chacun possède une force intérieure, des objectifs et d’intéressantes contradictions. On sent derrière tout cela une documentation impressionnante, que Porter parvient à écarter pour laisser filer la plume, exprimer ses convictions en maintenant une tension permanente. Pas de grandiloquence dans cette fiction, mais l’envie de dire certaines vérités, sur la torture en particulier. Car le cœur du livre est ici : dans l’ombre de Guantánamo et de ses prisonniers. Empire State devient alors un roman d’une force rare où la morale n’est plus celle des ennemis et des amis de l’Occident fomentant des complots sur l’avenir, mais une réflexion presque intime, donc essentielle.
Christine Ferniot.