DECLAN BURKE - eightball boogie


Harry Rigby a la répartie facile ce qui ne manque pas d’horripiler ses interlocuteurs. D’habitude, ça lui sert. Normal, du bagout, il en faut quand on est journaliste. Seulement voilà, son vieux pote photographe, Herbie, le branche sur la mort de la femme du politicien Tony Sheridan et l’histoire, de sordide va tourner gore. D’investigateur, Rigby va se retrouver «investigué ». Entre flics ripoux, dealers d’ecstasy, une femme qui souhaite le voir déguerpir et trouver l’homme qui assumera son rôle de père et un Gonzo de frère qui réapparaît au mauvais moment pour mieux mourir d’une overdose dans les toilettes crades d’un rade, c’est un Rigby de plus en plus meurtri - aussi bien mentalement que physiquement - qui se doit d’enquêter pour trouver une vérité qui le sauvera lui et son fils Ben. Car sans Ben, Harry Rigby aurait jeté l’éponge depuis longtemps. À partir de ce moment, de nombreuses personnes s’intéressent à Harry Rigby et à ses conclusions hâtives.

Tout tourne autour de la drogue et de l’argent facile qui en découle dans cette petite ville du nord-ouest de l’Irlande. Le seul problème pour Harry, c’est de se mettre au calme, de remobiliser ses méninges et d’essayer de clarifier tout un imbroglio d’histoires pour découvrir les tenants et les aboutissants de ce vaste trafic. Les bons, ils ne sont pas nombreux. Ils se comptent sur les doigts d’une main, si tant est que la Reine des glaces ne se mette pas en tête de les casser un par un et minute par minute. Les méchants, en revanche, foisonnent. Et ils sont plutôt contagieux. Harry a bien l’impression qu’il est sur la mauvaise pente. Si le flingue qu’il a dans son bureau est un faux, juste pour amuser les flics lors des perquisitions, il sait bien qu’un jour il devra se mettre à défourailler avec un vrai. Car les autres ne se posent pas de question. Harry est obligé de se jeter à l’eau pour ne pas être refroidi par un tir de sulfateuse. Alors, la belle journaliste Katie est bien tentante. Surtout qu’elle semble attirée par un homme qui ne se présente pas sous son meilleur aspect -cheveux lavés le mois dernier, barbe de trois jours, douche de quatre, visage contusionné et tuméfié, impacts de balles sur le corps - mais qui est aux aguets. Katie est bien informée et prête à tout pour découvrir la vérité. Harry en est conscient. La seule question qu’il se pose est : Jusqu’où ?

"Rivages - noir", c’est du roman noir opaque. Avec ce premier roman, Declan Burke, intègre bien la collection. Il a parfaitement assimilé ses classiques. La trame est compliquée comme dans un roman de Hammett (on pense au Faucon de Malte) avec le même désenchantement qui accompagne Harry. Eightball Boogie nous montre une Irlande sale, très sale, sans aucun espoir - loin des problèmes politiques qui d’habitude la hantent. Les gens meurent dans d’atroces souffrances - ou ne meurent pas comme Rigby mais sa survie, malgré tout le plomb que son corps encaisse ainsi que les nombreux coups au près (de boule, de poings, de tatane...), parvient à nous faire doucement sourire. Car ce roman nous berce de rhétorique et d’humour noir. Rigby a la fâcheuse tendance à penser tout haut et à penser beaucoup. Il ne sait pas tourner sept fois sa langue dans sa bouche et quand il additionne deux et deux, ça fait souvent trois !
- C’est de la diffamation, Rigby.
- Juste de la calomnie, et encore, si ce n’est pas vrai. À moins que ce ne soit l’inverse ?
Grande gueule qui aime bien jouer sur les mots, Rigby ? Affirmatif. Le seul problème est que pour la première fois il se retrouve confronté à des hommes qui aiment jouer sur les morts, et eux, ne les mâchent pas, leurs mots, dans une épopée noire, véritable course contre la montre qui est loin d’être hygiénique.

Julien Védrenne.