JEAN-PAUL DELFINO - embrouilles
au vélodrome
Hooligans, hooligans
On peut
ne pas s'intéresser au football - horribile dictu - et s'intéresser
à ses alentours. Parce que c'est un sacré phénomène,
qui a su faire l'unanimité, toutes catégories sociales confondues,
le foot, c'est grand, c'est important, c'est social et c'est mondain. Du coup,
il a été longtemps assez mal vu de critiquer -- il y a quelques
années, un excellent reportage Chez les hooligans, paru aux éditions
Christian Bourgeois, n'eut ainsi guère les honneurs de la presse, alors
qu'il contait les mystères de l'organisation de supporters anglais, de
ceux qui ne regardent pas les matches mais s'occupent de la troisième
mi-temps, avec une efficacité certaine.
Or, ces supporters qui carburent à la bière et à la bagarre
ont des chefs, dont le train de vie est surprenant, et dont l'impunité
est saisissante. Or, ces voyous, qui sont souvent au National Front, n'appartiennent
pas aux couches populaires, mais sont en général très bien
intégrés, pour rester dans le jargon du temps, et relèvent
de la petite bourgeoisie ? Il était troublant ce livre, dont l'auteur
avait réussi à se faire adopter par une bande de hooligans, ce
qui n'est pas simple, il était troublant, et troublé - pourquoi
des gens qui sont interdits de séjour à l'occasion d'un match
sont-ils acceptés quand même ? L'auteur n'avait pas de réponse,
il apportait seulement un témoignage, que nul n'a contesté. D'ailleurs
le football a longtemps semblé annihiler tout ce qui venait questionner
sa pureté. Matches truqués, arbitres ou joueurs achetés,
faux passeports, sans compter les déchaînements racistes et les
déploiements hallucinants de forces de police, sans compter les morts
et les blessés, le football restait intact, comme le symbole d'une époque
qui se cherche une passion commune, réunificatrice, joyeuse et innocente...
Mais aujourd'hui, on a peut-être moins besoin de sentimentalité,
moins besoin d'une belle équipe, de la ola, des transes et de la mise
en scène de la ferveur, et se fait peut-être davantage sentir la
nécessité de voir les contradictions de la réalité...
Jean-Paul Delfino, auteur de nombreux polars, aime le football. C'est au nom
de cet amour-là qu'il fait intervenir ses personnages : Vieux Switch
et le Marseillais sont des fondus de l'OM. Quand Vieux Switch se voit confier
la garde d'un jeune Brésilien par un de ses potes, éducateur de
rues dans les quartiers Nord, et qu'il découvre que le gamin a été
acheté au brésil pour ses qualités footballistiques par
un " talent scout ", puis menacé de devoir participer à
des ballets roses s'il ne se décidait pas à montrer son talent
à Marseille, Vieux Switch se fâche et entreprend de remonter la
filière. Mais s'il parvient à affronter le maffieux qui est à
l'origine de ce trafic d'esclaves, il n'en reste pas moins que l'ensemble de
la situation est assez accablant : " matchs truqués et achetés,
call-girls offertes aux arbitres et aux officiels, comptabilité souterraine,
billetterie en liquide et caisses noires ", qu'est-ce qu'on peut faire
? Pour tout dire, il est assez instructif de lire ce roman au moment où
M. Ceccaldi fait ses fracassantes déclarations... Mais, précisons,
même si Jean-Paul Delfino est journaliste, il s'agit ici d'un roman où
les données objectives et l'analyse d'une situation calamiteuse n'empêchent
pas les personnages d'être rigolardement excessifs, entre lyrisme pagnolesque
et éthylisme anisé. Jean-Paul Delfino ne recule pas devant le
cliché, même s'il le met à l'occasion en boîte, mais
peu importe, il n'a pas l'intention de remplacer Jean-Claude Izzo à l'ironie
mélancolique. Tout ici est taillé à la serpe, un peu BD,
un peu Mocky, et si on est agacé de voir les héros rendre eux-mêmes
la justice avec une sérénité digne d'une meilleure cause,
on n'en est pas moins mis en appétit par les détails fournis sur
l'OM, y compris sur le rapport des Marseillais à leur club, quitte à
les prendre... avec un grain de sel.
Evelyne
Pieiller