JEAN-PAUL DELFINO - l'île
aux femmes
Jean-Paul Delfino, ancien journaliste, a quitté sa profession pour se consacrer entièrement à l'écriture de romans. Auteur à l'heure actuelle de trois romans noirs parus chez Métailié, il nous a gentiment accordé un peu de temps pour répondre à nos questions, essentiellement à propos de son dernier roman "De l'eau dans le grisou", troisième volet des aventures du "Vieux Switch".
Votre
héros, Vieux Switch, n'a que 34 ans. Pourquoi vieux ? C'est pourtant
proche de votre âge (rire) ?
J.P. Delfino : J'ai choisi ce qualificatif en référence à
un livre qui m'a bouleversé et fait partie des repères qui marquent
une vie : l'Attrape-coeur de JD Salinger. Dans ce roman, ce tic de langage participe
de la structure de l'oeuvre : Vieux Spencer, Vieille Phoebe, etc. Outre ce qualificatif,
mon héros en a gardé aussi une " vieille " vision désabusée
de ce monde !
L'ensemble
des protagonistes ne sont connus qu'au travers d'un pseudonyme, d'un seul nom
ou prénom. Pour quelle raison ?
J.P. Delfino : Parce qu'ils figurent directement une qualité, un trait
de caractère particulier, du moins en ce qui concerne le Marseillais.
Lui, symbolise l'image de ce que les non-Phocéens se font de Marseille.
Un mélange burlesque de Raimu et Fernandel, avec un zeste de Pagnolade
!
Bernie, lui, image la facette sombre de Marseille. Il est tragique, silencieux,
hanté de fantômes. Pour définir Marseille, il faut savoir
passer du cliché du fort en gueule à la facette grecque et noire
de Phocée.
Quant à Vieux Switch, il a un nom et un prénom : John Léopold
Switch !
En quoi vous vous ressemblez, vous et votre personnage ?
J.P. Delfino : Je me retrouve - ou je me livre, c'est selon ! - au travers non
pas de Vieux Switch, mais bien de mes trois personnages !
Tout
au long de vos livres, vous sortez des comparaisons et des expressions à
dormir debout. Où allez-vous chercher tout ça, c'est hilarant!
J.P. Delfino : Merci pour le compliment ! La littérature, selon moi,
ne doit pas se restreindre à un travail de rat de bibliothèque
qui aurait pour meilleur ami un psychanalyste freudien. C'est à dire
: être cultivé n'est pas gage de réussite littéraire,
et la description effrénée de son nombril par l'auteur larmoyant
ne conduit pas non plus à une littérature de qualité. Le
rire fait partie de la littérature. il devrait en faire partie, en tous
cas, selon moi. Voltaire, Rabelais, Boris Vian, Prévert, Audiard et les
autres sont là pour le confirmer. Mais hélas, littérature
et burlesque ne font pas souvent bon ménage dans les salons pompeux du
sixième arrondissement parisien.
Les expressions, elles, sont inventées ou puisées à la
source de la vie.
L'argot, comme pour l'armée, constitue l'éclaireur de la langue
française. Ce qui est littérairement incorrect aujourd'hui passera
dans dix ou vingt ans dans le langage chatié...
Vous
attaquez directement beaucoup de monde, tout y passe, la vache folle, le sang
contaminé, les vaccinations et bien sûr l'eau, thème principal
de "de l'eau dans le grisou". Vous n'avez pas peur et n'avez pas eu
des retours sérieux des gens concernés ?
J.P. Delfino : Bien sûr, mes romans ne plaisent pas à tout le monde.
Mais, à l'inverse du journalisme, le danger est différent. Un
journaliste qui écrit un article où il attaque l'eau potable est
potentiellement en danger. Menaces, licenciement, placard, sévices :
celui que son article a gêné, et selon son pouvoir, peut tout mettre
en oeuvre pour que ce journaliste soit mis hors d'état de nuire.
En revanche, l'auteur, une fois que son livre est sorti, est inattaquable.
Lui faire du mal ne servirait qu'à promouvoir le livre incriminé,
lui organiser une campagne de presse à retentissement.
L'humour dans vos livres est-il une arme pour dénoncer un certain
nombre de ces choses graves ?
J.P. Delfino : La meilleure des armes ! Toutes proportions gardées, c'est
par l'humour que bon nombre de créateurs ont attaqué les pouvoirs
en place. Des exemples ? La Fontaine, les Guignols, Frédéric Dard,
Villon, Edmond Rostan, Brassens, Alphonse Allais, Courteline, et la liste est
encore longue !
Pour ma part, je me considère un peu comme un fou. Non pas le Fou du
Roi, mais la mouche du coche, la petite pierre dans le soulier de la société.
Vous
décrivez souvent Marseille comme une belle femme et faites aussi référence
à Aix. Parlez nous de votre amour pour ces villes et cette région.
J.P. Delfino : Marseille ne se raconte pas. Et c'est sans doute la raison pour
laquelle tant d'auteurs, moi y compris, essayons de rendre un peu de sa chair
et de son parfum. Si Marseille est une putain généreuse et ouverte
à tous, Aix-en-Provence est une bourgeoise surannée, encore capable
toutefois de quelques coups de reins à faire pâlir bien des courtisanes
!
Au
cours du livre, les personnages se retrouvent chez les "Camisards de la
Terre". Est-ce que la loi du "Plaisir Absolu" est pour vous quelque
chose d'envisageable et fait partie de vos fantasmes ?
J.P. Delfino : Qui n'aimerait pas cela, une société où
l'objectif de tous est de se faire du bien ? En y repensant, je retrouve dans
cette société un peu de l'abbaye de Thélème, chère
à Rabelais...
Pourquoi
avoir choisi de nommer vos chapitres par "Goutte", "Mauresque"
et "Verre". Une allusion à la "bonne descente" de
vos personnages ! :)
J.P. Delfino : Oui, sans aucun doute. Et sans doute aussi pour désacraliser
la littérature, cette vieille dame impotente qui aurait bien besoin d'un
élixir de jeunesse.
Mais
les romanciers actuels en sont-ils encore capables ?
Ayant lu les 3 romans dans l'ordre chronologique de leur parution, j'ai trouvé
qu'ils n'évoluaient qu'en bien. Pouvez-vous nous dévoiler les
prochaines aventures du vieux Switch et de ses acolytes ? Date de Parution ?
J.P. Delfino : En septembre, Chair de Lune (Editions Métailié
Grand Format) constituera mon premier pas dans le domaine de la littérature
blanche, en opposition à la noire qui désigne les polars. Ce livre
raconte une grande histoire d'amour entre deux jeunes adolescents et se situe
dans les années 1970, dans les quartiers ouest de Marseille.
Le prochain Vieux Switch sortira pour le premier trimestre 2002 et son seul
titre raconte son histoire : Embrouilles au Vélodrome...
Benjamin DUQUENNE