DAVID PEACE - 1974


Une date à retenir

par Eric Libiot

Avec 1974, David Peace, jeune prodige du thriller british, entame une série sur les grandes années du crime. Du jamais-lu.
Cela fait une douzaine d'années que le roman policier anglais s'est teinté d'encre noire. Une transformation sans vagues, d'ailleurs, tant l'image de la Reine Christie plane encore sur les rayons entre poireau et tasse de thé. Deux grandes dames, P. D. James et Ruth Rendell, avaient déjà réussi à sortir le genre du cottage propret où il s'enfermait pour le jeter dans les rues, mais on était là dans un psychologisme brillant et sombre, une étude de l'Angleterre au scalpel plutôt qu'au calibre.
Outre-Manche, le genre semblait donc bancal, et seule la voix puissante et désespérée de Robin Cook parvenait à réveiller les morts. Puis vint une nouvelle école du crime, menée, notamment, par Mark Timlin ou Michael Dibdin, rapidement suivis par les meilleurs représentant actuels, Nicholas Blincoe et, surtout, John Harvey, père du magnifique inspecteur Resnick. Le polar anglais se frottait enfin au bitume et accompagnait un cinéma renaissant qui trouvait de nouvelles couleurs dans la lutte contre le thatchérisme.
Il manquait pourtant du bruit et de la fureur. Un coup de whisky qui ferait tourner le nuage de lait au vinaigre. Le voilà. Il se nomme David Peace. Il a 34 ans, vit à Tokyo avec femme et enfants et a publié, en Grande-Bretagne, les trois premiers romans d'un ensemble intitulé "Red Riding Quartet". 1974 vient de paraître en France. Suivront 1977, 1980 et 1983.
A chaque livre, une année. Peace a en effet l'ambition de raconter son pays à travers le prisme de l'histoire criminelle qui hanta cette époque où l'innocence se heurtait à la crise, l'affairisme, la corruption. Pour disparaître corps et biens. Vous pensez à James Ellroy? Vous avez raison. David Peace revendique haut et fort la filiation et avoue écrire le pendant anglais du Quatuor de Los Angeles. Avec le Yorkshire dans le rôle de la cité des Anges. C'est dans cette région qu'il est né, c'est dans cette région qu'il a vécu - à Ossett - et c'est dans cette région, aussi, qu'en 1977 a sévi Peter Sutcliffe, auteur de 13 meurtres de femmes et surnommé "the Yorkshire Ripper" (l'Eventreur du Yorkshire). Un concours de circonstances a longtemps fait croire au jeune David Peace que cet assassin célèbre était son propre père. De quoi plonger une enfance dans les cauchemars les plus noirs. De cette affaire, le romancier fera le thème du second tome de son quatuor - à paraître d'ici à un an.
Pour l'heure, dans 1974, Peace met en scène Edward Dunford, un journaliste de faits divers dont l'enquête sur la disparition d'une jeune fille réveille la piste de vieux dossiers perdus où trempent quelques notables peu avenants. Une intrigue déjà lue? Peut-être. Mais Peace maîtrise jusqu'à la dernière ligne un style sec, imagé, descriptif, qui joue volontairement de la répétition, comme autant de gifles envoyées à une réalité qui refuse de se montrer. Et suit un homme dont la compassion vire à l'enfer paranoïaque. Rectification: 1974, vous ne l'avez, en fait, jamais lu.