MARTIN SUTER - un ami parfait


Amnésie générale

Depuis son premier et merveilleux roman, Small World, qui racontait l'histoire d'un homme atteint de la maladie d'Alzheimer, l'écrivain suisse allemand Martin Suter - qui partage sa vie entre les Baléares et l'Argentine - ne cesse d'explorer le territoire mystérieux de la mémoire. Mémoire archaïque de l'homme d'affaires distingué qui retourne à l'état de nature " La face cachée de la lune ", mémoire traumatisée d'un jeune journaliste suisse d'origine italienne, Fabio Rossi, qui, après avoir été agressé, se retrouve dans un hôpital, ayant tout oublié des dernières semaines de sa vie.

Qui l'a frappé à la tête ? Qui est Marlène, la blonde sensuelle qui vient lui rendre visite et qu'il ne connaît pas ? Et pourquoi la femme de sa vie, la belle Norina, ne veut-elle plus le voir ni même répondre à ses appels téléphoniques ? Son ami de toujours, Lucas, n'éclaire que partiellement ses interrogations. La blonde est sa nouvelle petite amie. Et c'est lui, Fabio, qui a quitté Norina après l'avoir, sans élégance, trompée avec Marlène. Lucas glisse à Fabio que, ces derniers temps, il avait tout changé dans sa vie. Il avait même démissionné de son poste de journaliste. Pourquoi ? A tous, il avait dit être sur un gros coup sans rien révéler de ses projets… Amputé d'une partie de lui-même, Fabio enquête alors sur ces semaines d'ombre, ces journées semble-t-il déterminantes puisque sa vie en a été bouleversée.

Tension extrême d'un récit mené avec finesse, écriture efficace qui ne cède jamais à la facilité, Un ami parfait explore les limites du cerveau humain… Mais ce troisième roman de Martin Suter est aussi une interrogation sur le bien et le mal. Quel est le salaud qui a frappé le gentil Fabio, qui a vidé le disque dur de son ordinateur, qui a fait disparaître les dossiers susceptibles de lui rendre la mémoire, qui lui a piqué la femme de sa vie ? Et si le mal, le traître, l'affreux n'était pas forcément " l'autre ", que tout désigne comme le jaloux et donc l'ennemi ? Si le cœur d'un même homme pouvait être tendre un jour, et le lendemain corrompu ?

Les mystères de la mémoire se confondent avec ceux de l'être. L'individu n'échappe pas aux pressions de la société, de l'argent, aux fantasmes de la réussite, nous suggère Suter. Et ceux qui foncent droit dans le mur sous prétexte de modernité, de progrès, de maîtrise du monde, ceux qui acceptent de voir la science jouer les apprentis sorciers ont besoin, comme Fabio, d'un bon coup sur la tête pour y voir enfin clair et changer de cap.

Michèle Gazier