YASMINA KHADRA - l'attentat


Yasmina Khadra autopsie le phénomène kamikaze

Cet ancien officier algérien écrit sous un pseudonyme composé par les prénoms de sa femme. Ses romans sont toujours situés au cœur des conflits les plus brûlants de notre époque.

Pour L'attentat, vous êtes-vous inspiré d'un événement précis?

Yasmina Khadra. Non. Depuis très longtemps, j'avais l'intention d'écrire quelque chose sur le problème du Proche-Orient. Cette idée a plu à mon éditeur. J'ai fini le roman en deux mois. Dans une sérénité que je ne connaissais pas. J'étais comme emporté, fasciné par mes personnages et leur histoire. En fait, j'ai toujours eu à cœur d'aborder ce thème car je pense que le problème de l'humanité est à cet endroit: la terre d'Israël est une terre bénie. Et tant qu'il n'y aura pas la paix, il n'y aura pas de répit dans le monde.
Le personnage de Sihem, la jeune femme devenue kamikaze à l'insu de son mari, est-il réaliste?
Y. K. Absolument. Rappelez-vous ce jeune Libanais issu d'une famille aisée, élevé dans les meilleures écoles, très affectueux et sur le point de se marier: cet homme était dans le commando qui a précipité l'un des avions contre le World Trade Center... Il s'agit d'une mentalité que l'Occident n'arrive pas à cadrer. Le monde a changé. Il exige plus de lucidité. Il serait temps d'écouter les autres, de revoir ses copies.

Qu'est-ce qui vous incite à écrire sur des thèmes d'une actualité aussi brûlante: les massacres en Algérie, l'Afghanistan des talibans, le conflit israélo-palestinien?
Y. K. C'est une nécessité. Le monde va mal, et les intellectuels regardent leur nombril. J'essaye de lever la tête et de comprendre ce qui se passe autour de moi. Je suis très attentif aux chamboulements qui nous gâchent l'existence. Le roman est un excellent outil de vigilance et de compréhension. En 1997, je disais aux Européens: «Ce qui arrive en Algérie va vous arriver à vous.» A l'époque, mes terroristes ressemblaient comme deux gouttes d'eau à ceux qui sévissent aujourd'hui. Ils étaient universitaires, des gens de bonne famille, des citoyens parfaits, beaux. Il a fallu aux Occidentaux le 11 septembre 2001 pour me donner raison. Avant, on était dans la caricature, celle du terroriste avec sa barbe et ses haillons. Puis le terroriste a évolué, mais pas l'idée que s'en font les gens.

Avez-vous déjà été menacé en raison de vos écrits?

Y. K. Je ne parle jamais de ça.

Ne craignez-vous pas que L'attentat suscite des réactions virulentes?

Y. K. Pourquoi? Je n'ai pas écrit ce roman en tant qu'Arabe mais en tant qu'être humain. Ceux qui me reprocheraient quoi que ce soit seraient de mauvaise foi car il s'agit d'un livre juste, sincère. J'ai été loyal avec les uns et avec les autres, j'ai essayé de défendre mes personnages du mieux que je pouvais. L'attentat est un roman d'une grande générosité. J'en suis très fier.

Votre livre trouve en tout cas un écho particulier après les attentats de Londres, cet été...
Y. K. Heureusement que je l'ai écrit en 2004. Autrement, on m'aurait traité d'opportuniste. J'étais à Londres il y a quelques mois et j'avais dit mon étonnement de voir cette ville épargnée par les djihadistes. Je savais que ça allait arriver. Il y a une véritable menace, terrifiante, palpable, à la porte de chaque maison. Les gens ne semblent pas la mesurer ou leurs réactions sont imprudentes. Cette façon d'occidentaliser l'indignation est une erreur grave: quand ça arrive en Occident, tout le monde compatit, mais quand ça se passe dans le monde arabe, c'est juste un fait divers. Les djihadistes en sont conscients et en profitent pour creuser le fossé. Si les Occidentaux se désolidarisaient des musulmans, les terroristes gagneraient sur tous les fronts. La violence est la faillite du bon sens. Gardons le nôtre.

Delphine Peras.