MARTIN SUTER - le diable de Milan


Un nouveau thriller de Martin Suter: du fantastique au sommet des Alpes suisses. Vertige assuré!

L'ange du bizarre se nomme Martin Suter. Ce Suisse allemand, qui vit aujourd'hui entre Zurich et Ibiza, nous l'avons découvert en 1998 avec l'étourdissant Small World, un polar médical où Simenon chasse sur les terres d'Esculape pour orchestrer le pathétique naufrage d'un sexagénaire atteint de la maladie d'Alzheimer. Chroniqueur de la mémoire troublée, explorateur du cerveau humain et de ses dérèglements, Suter a ensuite signé deux Série Noire pour détraqués (La face cachée de la lune et Un ami parfait), où il a prouvé qu'il n'avait pas son pareil pour débusquer les monstres qui sommeillent dans les ténèbres de l'inconscient.

Dans Le diable de Milan, il renoue avec l'angoisse, avec la peur et le mystère en y ajoutant une touche de fantastique, façon Ramuz. Sonia Frey, la trentaine, abuse de l'acide, et ça lui joue de vilains tours. Quant à son mari, il a pété les plombs et tenté de la tuer avant d'être interné. Il ne lui reste donc que les SMS de sa copine Malou, sa perruche Pavarotti, et cette solitude qui la ronge cruellement. «Le présent a déjà sombré dans l'oubli», dira-t-elle, avant de plier bagages et de s'enfuir du côté de Saint-Moritz, dans une vallée perdue de la haute Engadine. Au cœur de ces montagnes magiques - on pense à Thomas Mann en lisant Suter -, Sonia espère pouvoir changer de vie. Et se fait engager comme physiothérapeute dans un hôtel haut de gamme, le Gamander, où le diable lui a hélas donné rendez-vous...

Car il se passe des choses bizarres sous les luxueux lambris de cette maison hantée: le ficus du salon se met à perdre soudainement ses feuilles et les horloges se dérèglent, avant que Sonia ne retrouve sa perruche noyée au fond d'un aquarium. Mais il y a aussi, sur un rayon de la bibliothèque, ce recueil de légendes alpines dont les histoires s'avèrent étrangement prémonitoires... Autant de phénomènes inexpliqués, autant de menaces dans ce thriller psychologique où, sous les cascades de géraniums de la bucolique Engadine, Lucifer mène le bal. En attendant qu'un autre démon, bien réel celui-ci, sorte de sa boîte pour livrer la clé de l'énigme. Sur ce terrain, Suter est un maître: il distille à petites doses un suspense où les drames conjugaux et les odeurs de cire, les silhouettes tremblantes des épicéas et les âmes en perdition se mêlent jusqu'au vertige. Remarquable.

André Clavel.