DBC PIERRE - le bouc hémisphère


Intrigue policière dans l'Amérique profonde.

C'est un livre étrange écrit par un jeune écrivain étrange répondant au nom de DBC Pierre, dont on sait peu de chose si ce n'est que ces intrigantes initiales signifieraient Dirty But Clean : sale mais propre.
Son premier roman, Le Bouc hémisphère, est tout aussi déroutant, ce qui ne l'empêche pas d'être très réussi.

Si tant est que l'on supporte l'américain argotique employé par l'auteur. Comme le résumait si justement l'écrivain Jonathan Lethem : "Son esprit corrosif et sa voix d'une cruelle véhémence font de lui une sorte de Flannery O'Connor sous amphétamine rivée au câble satellite". A première vue, Le Bouc Hémisphère est une métaphore sur cette période confuse - ce "monde en noir et blanc" - qu'est l'adolescence, et sur la fin des belles innocences. Vernon, le narrateur, est accusé - à tort, puisque c'est son ami, Jesus (sic), qui s'est suicidé, le coupable - d'avoir tué tous ses camarades de classe : "La certitude de notre logique de mômes a été balayée, laissant derrière elle des cailloux de doute et de colère s'entrechoquant à chaque poussée de croissance". Interrogé, voici le portrait que notre "bouc hémisphère" dresse de lui-même, et de la situation : "Tu peux pas savoir comme j'aimerais être Jean-Claude Van Damme (...) et me tirer avec un top-modèle en bikini. Mais bon, tu me vois : petit brun, cheveux en pétard, sourcils de chameau. Une tête de Bisounours, comme si Dieu m'avait fait à la loupe".
Conscient que dans "la vérité vraie, ça ne se passe pas comme ça", Vernon ne voit qu'une solution : prendre la fuite. Surtout quand l'action de ce film supraréaliste se passe à Martirio (où "Eminem, c'est aussi interdit qu'une poupée gonflable pour zoophiles"), petite ville perdue au fin fond du Texas, patrie de George W. Bush et de la peine de mort.
C'est alors que l'intrigue policière laisse place à un portrait loufoque, s'il n'était consternant, de cette Amérique hypocrite, puritaine et voyeuse, gavée aux hamburgers et aux soap-operas. Lally, un pseudo-journaliste en quête de scoops, décide de raccorder la ville aux caméras. Plus fort, il propose de subventionner le système pénal de l'Etat du Texas en vendant les droits de diffusion des exécutions. Ainsi, le public suit en direct, via le câble ou Internet, la vie des prisonniers dans le couloir de la mort. Chaque semaine, les téléspectateurs élisent le prochain exécuté parmi des prisonniers triés sur le volet - Audimat oblige. Dès lors, la vie de Vernon ressemble à une (mauvaise) émission de télé-réalité : "Sous les projecteurs des caméras, un public effaré et meurtri s'est vu proposer l'occasion de participer au plus grand cirque médiatique depuis le procès d'O.J. Simpson". Le Bouc Hémisphère est bien - et pour reprendre le sous-titre - une formidable "farce macabre du XXIe siècle".

Emilie Grangera